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comme le plus grand des dangers ; il ne peut se défendre d’une certaine terreur assez bizarre en montrant la prospérité de renseignement privé, en supputant le nombre des jeunes gens élevés dans les écoles libres. En d’autres termes, M. Paul Bert ne s’inquiéterait peut-être pas d’une liberté qui ne servirait à rien, dont personne n’userait ; il s’alarme et il propose des mesures de salut public, parce que cette liberté se déploie avec quelque puissance. Et comme dans cette voie on ne s’arrête pas, M. Paul Bert lui-même est dépassé par un député qui arrive, lui aussi, avec sa motion réformatrice. M. Marcou propose d’imposer aux maîtres de l’enseignement privé des grades universitaires et de n’admettre au baccalauréat que les jeunes gens qui auront complété leurs études dans les lycées de l’état. C’est simple et net : le progrès pour ces étranges esprits consiste à revenir au système impérial de 1808, au monopole universitaire ! Le ministre de l’intérieur du dernier cabinet pratique, de son côté, le même genre de libéralisme dans la loi qu’il a présentée sur les associations. Ce jeune réformateur a trouvé le moyen de transformer en délits de simples vœux religieux qui n’ont aucune sanction, qui ne sont qu’un acte libre et spontané de la conscience. Toutes les associations industrielles, commerciales, philosophiques ou athées seraient permises ; les associations religieuses deviendraient seules illicites.

C’est, à ce qu’il paraît, de la liberté, d’agir ainsi ! c’est de la liberté de soumettre à une inquisition de police l’acte le plus intime de la conscience. C’est de la liberté de revenir au monopole universitaire. C’est de la liberté de laisser la propriété privée et l’inviolabilité du domicile livrées à la juridiction administrative. En vérité, la nouvelle tradition libérale commence à se compléter, et c’est ici surtout que les républicains ont fait du chemin. Nous sommes loin du temps où un vigoureux esprit, républicain éminent à coup sûr, Armand Carrel, répétait sans cesse à son parti que la liberté était le droit commun, le bien de tous et non un privilège qu’on invoquait tant qu’on y avait intérêt, qu’il fallait savoir la faire respecter en faveur de ses adversaires et au besoin contre soi-même. « Nous voulons la liberté pour nous aujourd’hui, disait Carrel, demain contre nous si nous étions les maîtres, bien différens de ceux qui veulent caresser et ménager des pratiques oppressives dans l’espoir avoué de les manier à leur tour et de devenir de persécutés persécuteurs, » C’était un fier langage ; mais Armand Carrel pourrait passer aujourd’hui pour un réactionnaire, peut-être pour un clérical, surtout pour un politique idéaliste et puéril, qui ne serait plus à la hauteur des habiles praticiens de la nouvelle école.

Disons franchement ce qui est, ce qui éclate à tous les yeux et ce qui ne tarderait pas, si l’on n’y prenait garde, à être pour la république elle-même le plus dangereux des pièges, La vérité est que ces républicains du jour qui ont la prétention de remanier la France