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et même « fort content. » — « Après avoir fait, poursuit-elle, un ouvrage de cette conséquence, je pouvais dormir en repos, et je me retirai pour m’aller coucher. » Madame avait assisté à la leçon sans en profiter. Elle était incapable de ces souplesses. Il y serait allé de sa vie qu’elle n’aurait pu prendre sur elle d’inventer une attache de chapeau.

Le mariage de Mademoiselle avec le roi d’Espagne se fit dans la chapelle du château de Fontainebleau. L’électrice y assista du haut d’une tribune : « Je laisse, dit-elle, au Mercure galant à décrire le détail de cette cérémonie, dont le cardinal de Bouillon faisait un des principaux personnages. Je dirai seulement l’envie de rire et qu’il avait de la peine à s’en empêcher. Pour le roi, il regarda Mlle de Fontanges avec plus de dévotion que l’autel ; elle était dans une tribune en haut de son côté, ce qui lui fit souvent hausser la tête. La Montespan, dont la faveur était sur son déclin, était placée sur le même rang, éloignée de sa rivale, dans un fort grand négligé avec. des coiffes brodées, dans un morne chagrin de voir triompher une plus jeune qu’elle, qui était fort ajustée et paraissait fort gaie. M, ne de Mecklembourg, assise auprès de moi, se donna milles peines pour se radoucir de tous les côtés où elle voyait des gens dont elle crût pouvoir avoir besoin, surtout vers la Montespan et M. de Pomponne. J’applaudis ma fortune en moi-même de me trouver dans un état bien plus heureux au-dessus de tout cela. Je trouvai la reine fort gênée dans son ajustement, car elle avait une jupe d’une broderie plus pesante que celle qu’on met sur les housses de chevaux, quoiqu’il faisait extrêmement chaud. Monsieur parut fort content, car il est si heureux qu’il le peut être des cérémonies de la grandeur sans en avoir le pouvoir. Madame parut fort gaie de voir devenir Madame sa belle-fille reine. La petite Mademoiselle semblait souhaiter un pareil sort ; la grande Mademoiselle de Montpensier avait fort grand air, Mme de Guise[1] n’en avait point du tout. Madame sa sœur, la duchesse de Florence, me parut fort aimable et Mme de Blois fort belle, qui était fille de La Vallière. Je pris garde quand le roi s’ennuya pendant la cérémonie ; il ouvrait la bouche et fermait les yeux. Pour M. le dauphin, il me parut insipide… Et j’admirai M. de Verneuil, fils de Henri IV, qui se portait à merveille à l’âge de près de quatre-vingts ans ; sa femme faisait aussi figure : on portait sa queue comme celle des princesses, mais elle n’était pas si longue. Tous ces princes et princesses s’évertuèrent à faire des révérences pour l’autel, pour le roi et pour la reine. Pour conclusion de la cérémonie, le roi fit celle de jurer la paix avec le roi d’Espagne, dont la belle reine était la victime qu’on immolait pour cette prétendue réconciliation… Ensuite chacun se retira pour aller dîner. »

  1. Élisabeth d’Orléans, fille du seconde lit de Gaston.