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paisiblement en possession du Hanovre. Elle avait été outrée de l’impertinence de la d’Olbreuse, une fille de rien, qui ne se trouvait pas assez honorée d’être la maîtresse d’un prince, et elle étendit sa haine sur Sophie-Dorothée, fille d’Eléonore et de George-Guillaume. Les lettres de l’électrice qui ont été publiées contiennent sur cette enfant des mots cruels qui ne lui seront pas pardonnés, parce qu’elle mariera malgré tout Sophie-Dorothée, pour des raisons d’argent, à son fils. « C’est une pilule bien amère à avaler, écrit-elle à propos de ce mariage, mais si on la dore de 100,000 écus par ans en souveraineté, on fermera les yeux en la prenant[1]. » On cesse d’excuser les duretés d’un orgueil qu’apprivoise si vite le son des écus. Dès que les prérogatives du sang entrent en cause, l’électrice Sophie devient âpre, vindicative, ne ploie plus que devant l’intérêt ; nous l’aimerions mieux ne ployant pas du tout.

Nous avons dû marquer les ombres. Hâtons-nous de revenir aux cotes lumineux de la figure. Ils sont éclatans et se reflètent délicieusement dans les Mémoires. L’électrice a l’observation vive et enjouée Elle trouve au bout de sa plume, parmi une foule de négligences et d’incorrections, de ces termes heureux qui font vivre les gens. Elle voit vrai. On s’en convainc dans les pages où elle raconte son voyage de France, chez sa sœur Louise, convertie au catholicisme et abbesse de Maubuisson, et chez sa nièce Charlotte, femme de Monsieur. Depuis l’arrivée à Maubuisson, où elle aperçoit dans la basse-cour la bonne grosse Madame courant « de toutes ses forces et Mademoiselle après elle » pour venir recevoir sa tante, jusqu’aux adieux de la reine Marie-Thérèse, qui ne trouve jamais rien à répondre aux complimens, il n’y a pas un trait que nous ne reconnaissions juste. Et quelles touches spirituelles elle ajoute à ces physionomies familières de la cour du grand roi ! Son Monsieur est un chef-d’œuvre. On ne se représente plus Monsieur que minaudant avec un bonnet de nuit enrubanné et tatillonnant parmi les chiffons.

L’abbaye de Maubuisson était à deux lieues de Paris, près de Saint-Ouen. Ce fut le 22 août 1679 que l’électrice Sophie, traversant les cours, aperçut Madame s’essoufflant à sa rencontre. « A peine pouvais-je sortir du carrosse pour satisfaire à ce que je lui devais La bonne princesse en m’embrassant pleura de joie de me revoir et me tenait toujours entre ses bras. Elle ne me quitta qu’un moment pour me donner le temps de saluer Mademoiselle, pendant qu’elle baisa fort tendrement M. d’Harling. qui avait étés a gouvernante. Après cela elle me reprit sous le bras et me présenta à M. le duc d’Orléans, que je trouvai a la porte du couvent avec ma sœur l’abbesse. Ce prince me fit un accueil le plus obligeant du monde et vivait avec moi comme

  1. Lettre du 9 novembre 1679 à son frère Charles-Louis, électeur palatin, père de Madame, mère du régent.