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même point. Ce qui parle chez Van Dyck, ce ne sont point, comme chez les grands dramaturges, chez Michel-Ange ou chez Rubens, ni les groupes par leurs attitudes, ni les figures par leur geste, ce sont les visages, les seuls visages sur lesquels le désespoir irrémédiable ou la souriante sérénité s’expriment avec une vivacité sympathique. Tous les efforts que renouvelait Van Dyck pour se montrer un grand peintre d’histoire contribuaient donc en réalité à affermir les progrès qu’il ne cessait de faire comme portraitiste. L’exercice de l’art religieux lui donnait seulement un idéal supérieur d’expression qui l’élevait bien au-dessus des préoccupations méticuleuses des spécialistes du portrait, sans que son imagination en fût d’ailleurs assez agitée pour perdre de vue la réalité.

La force de création, assez vive chez lui pour le tenir toujours animé en face de la vie, n’y devint donc jamais assez dominante pour lui faire oublier ou transformer la nature. De là l’enchantement qu’on éprouve devant toutes ses figures, d’une noblesse si vraisemblable et d’un charme si naturel, sans qu’on ait à concevoir de doutes, malgré la séduction, ni sur l’exactitude des traits ni sur la vérité des expressions. Les gens qu’il peint ou dessine en ce moment sont d’ailleurs presque tous ou d’anciens camarades, ou des confrères aimés, ou des protecteurs respectés. Il met, à les immortaliser, une conscience et une verve qu’il ne retrouvera plus toujours, en Angleterre, devant la foule des cliens indifférens. Les plus belles feuilles du Centum Icones, Vorstermans, Pontius, Breughel de Velours, de Wael, Snyders, etc., les superbes portraits de Marie de Tassis à la galerie Lichtenstein, ceux de François de Moncade, du Gentilhomme et d’un Enfant, d’une Dame et sa Fille au musée du Louvre, la plupart des portraits en pied de la Pinacothèque de Munich datent de cette période bénie et montrent la fusion décidément accomplie entre les élémens divers qui composent son originalité.

Durant la période anglaise, cette originalité se raffine, s’attendrit, s’aiguise avec une sensibilité croissante, qui, vers la fin, tourne à la subtilité ou à la fadeur. C’est le moment où, comme peintre, il invente les combinaisons les plus séduisantes. Sa peinture, allégée et éclairée, d’une pâte plus fine, d’un éclat plus souple, d’une touche plus rapide, d’une impression plus frémissante, devient par instans, pour la vue ravie, une caresse exquise. Quels yeux resteraient insensibles à ces adorables fraîcheurs de tons nacrés, à ces voluptueux accords de nuances attendries au moyen desquels il exprime alors ce qu’il aima toujours le mieux au monde, ce qu’il sentit d’un cœur si sincèrement ému, la délicate beauté des femmes et la gentillesse câline des enfans ? Quels bouquets de fleurs savamment nuancées offrent des harmonies aussi rares que les groupes