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complu à se peindre lui-même. Trois de ses portraits sont spécialement intéressans : celui de la National Gallery, où le jeune homme, brillant et frais, presque imberbe, assez gras, montrant d’un air dégagé sa belle main, sourit doucement à l’avenir ; celui du recueil des eaux-fortes, reproduit sur le frontispice des Centum Icones, où l’homme radieux, en pleine possession de sa virilité élégante, confiant en son destin, sûr de sa gloire, le front haut, la lèvre pincée sous sa moustache retroussée, lance de ses yeux perçans par-dessus son épaule un regard de maître un peu dédaigneux ; celui du musée du Louvre, où, dans une toilette à la fois plus luxueuse et plus négligée, il dresse déjà moins fièrement la tête et laisse voir sur son visage bouffi et pâli les traces d’une fatigue précoce. Il suffit d’avoir vu l’un d’eux pour comprendre qu’on se trouve en face d’un tempérament extrêmement vif et nerveux, d’une intelligence déliée et sagace, d’un caractère prompt et impressionnable.

Érasme Quellin eut un jour la fantaisie, dans un dessin qu’a gravé Pontius, d’accoler l’image du chevalier Van Dyck à l’image du chevalier Rubens ; quelles différences entre ces deux physionomies ! Chez le maître, l’œil largement ouvert, la bouche forte et parlante, le port franc et ferme, un superbe épanouissement de santé, de force souriante, de naturelle volonté ; chez l’élève, le regard aigu et perçant, les lèvres fines et serrées, quelque chose à la fois de plus distingué et de plus réservé, une sorte de délicatesse efféminée, avec une pointe de fatuité dans les traits, l’allure, l’expression. Les contemporains, du reste, sentaient bien le contraste des deux natures et des deux talens ; au-dessus du médaillon de Rubens voltige une flamme avec des foudres ; au-dessus du médaillon de Van Dyck, deux colombes se becquètent. « Vous qui l’avez aimé, disent les hexamètres du titre, vous doutiez en tremblant, si c’était Cupidon lui-même ou le dieu porteur de l’arc. » Apollon ou l’Amour, tels étaient, en effet, les dieux avec lesquels les goûts allégoriques du temps lui pouvaient trouver quelque parenté. Lui-même s’est peint une fois en berger Paris. Cette tournure d’esprit sentimentale explique à la fois dans sa vie certaines vanités et dans son œuvre certaines afféteries ; cette sensibilité excessive donne le secret des mobilités apparentes de son talent dont le fond, assez limité, ne se modifia jamais.

L’enseignement scrupuleux de Van Balen avait déposé dans son esprit des principes de respect pour l’exactitude du dessin, au moins dans les têtes, dont il ne se départit jamais, même aux jours de ses plus grands relâchemens. Cette analyse consciencieuse de la physionomie le rattache, plus que Rubens même, à tous ces bons et loyaux portraitistes, fidèles aux vieux systèmes, soit en Flandre, soit en Hollande, Mireveld, Moreelse, Ravestein, Van der Helst,