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l’édifice de sa fortune commençait d’ailleurs à craquer. Non-seulement Charles Ier ne payait plus, mais il ne régnait plus. Le long parlement était entré en scène. De tous côtés, la guerre civile se préparait. La noblesse se retirait dans ses châteaux. La tristesse puritaine commençait à envahir Londres. Van Dyck crut-il le temps venu de quitter l’Angleterre et d’aller chercher sur le continent une destinée moins agitée ? Cela paraît probable, car au mois de janvier 1641 on le trouve à Paris, où il demande à faire les peintures de la galerie du Louvre. Par malheur pour lui, Poussin venait d’arriver, mandé exprès de Rome par le cardinal de Richelieu pour exécuter ce travail. L’étranger ne fut même pas écouté. Cette déception, jointe à la douleur qu’il avait dû éprouver durant son passage à Anvers en n’y retrouvant plus son maître Rubens, mort quelques mois auparavant, acheva de l’accabler. Les nouvelles qui lui arrivaient d’Angleterre étaient encore plus faites pour le désespérer. Dans le mois de mai, l’un de ses protecteurs les plus fidèles, lord Strafford, avait été arrêté et exécuté ; tous ses autres amis étaient menacés. Il ne se décida pourtant à quitter Paris qu’à la fin de novembre[1]. Quelques jours après son arrivée, le 1er décembre, sa femme accouchait d’une fille, Justiniana. Le jour même, il faisait son testament et, malgré les efforts des médecins que le roi avait appelés près de lui avec une sollicitude plus affectueuse que jamais, il expira le 9 décembre. Il fut enterré dans la cathédrale de Saint-Paul.


V

Si les faits certains recueillis soit dans le judicieux ouvrage de M. Guiffrey, soit dans le livre enthousiaste de M. Michiels, permettent de reconstituer, mieux qu’on ne l’avait pu l’aire encore, la vie agitée de l’artiste mondain dans les milieux divers qu’il traversa, les dates établies par ces faits, en constituant la chronologie de ses travaux, jettent aussi de vives lumières sur son œuvre dont elles montrent les transformations étroitement liées aux transformations de son esprit. Van Dyck, presque autant que Rembrandt, s’est

  1. La date de ce départ est prouvée par une curieuse lettre de Van Dyck, ayant fait partie de la collection Benjamin Fillon, et mise en lumière par M. Guiffrey, dans laquelle il fait demander au cardinal un passeport pour lui, ses cinq serviteurs, son carrosse et ses quatre chevaux (15 novembre 1641). Ainsi tombe la supposition faite par M. Michiels su sujet du portrait de lord Strafford avec son secrétaire, portrait qu’il croyait exécuté à Londres en avril ou mai 1641, et dans lequel il voyait une allusion à l’envoi fait par Strafford au roi de la lettre héroïque par laquelle il le priait de ratifier sa sentence de mort.