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galanteries. Un jour que Charles Ier s’entretenait, dans son atelier, avec lord Strafford, de ses embarras financiers, il se retourna brusquement vers le peintre qui les écoutait avec attention : « Et vous, seigneur cavalier, avez-vous jamais su ce que c’était que d’avoir besoin de mille écus ? — Sire, répondit Van Dyck, quand on tient table ouverte à ses amis et bourse ouverte à ses maîtresses, on trouve vite le fond du coffre. » Le peintre qui tournait tant de têtes put avoir, en effet, quelquefois la tête tournée, mais il apporta, en véritable homme du monde, dans ses bonnes fortunes, une discrétion qui n’a jamais permis, ni à la malveillance des contemporains, ni à la curiosité de la postérité, d’en pénétrer le mystère. « Si l’amour des femmes, dit l’anonyme d’Anvers, est un faible instinct chez quelques hommes, c’est une passion impérieuse chez d’autres, surtout quand elle est justifiée par l’usage et l’habitude. Comme Van Dyck craignait les propos, le scandale, il apportait, dans ses amours tant de bienséance et de circonspection qu’il eût rendu cette faiblesse excusable si elle pouvait l’être. » On n’a donc aucune preuve de la liaison que le bruit public lui attribua avec la femme même de son protecteur Kenelm Digby, la célèbre lady Venetia Stanley, qu’il représenta une première fois sous la figure de la Prudence repoussant la Calomnie, et qu’il peignit bientôt, sur son lit de mort, une rose fanée à la main. Une lettre de lord Conway au comte de Strafford, du 22 janvier 1636, montrerait, il est vrai, le peintre mêlant, d’une façon assez peu chevaleresque, les questions d’argent aux questions d’amour. En réalité, la seule liaison publique qu’on lui connut fut celle qu’il contracta avec miss Marguerite Lemon, fille d’un alderman, déjà fort compromise par des galanteries bruyantes lorsque Van Dyck l’installa à Black-Friars. Miss Lemon, d’une intelligence cultivée, d’un tempérament passionné, d’un caractère violent, ne contribua pas médiocrement, sans douté, à accroître le désordre d’existence qui ne tarda pas à troubler l’esprit de l’artiste et à compromettre sa santé.

Il n’y eut qu’un moment d’accalmie dans cette excitation fiévreuse ; ce fut le temps que Van Dyck alla passer en 1634 à Anvers, où il avait conservé des intérêts de diverse nature. Martin van den Enden y gérait toujours, en son nom, l’atelier de gravure qu’il avait fondé. Ses sœurs y élevaient une petite fille naturelle encore en bas âge dont la mère était probablement morte. Il venait, en outre, de faire un placement hypothécaire sur la seigneurie de Steen, que Rubens allait bientôt acheter. Cette fois, on l’accueillit en triomphateur. Ses confrères l’élurent doyen de Saint-Luc. La cour l’appela à Bruxelles, où il assista à l’entrée de l’archiduc Ferdinand. Il y fit, avec plusieurs portraits de dames et de seigneurs français, le portrait équestre