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quand il faisait des portraits, il les commençait le matin de bonne heure et, sans interrompre son travail, retenait à déjeuner ces nobles seigneurs, si hauts personnages et si grandes dames qu’ils fussent ; ils allaient d’ailleurs volontiers chez lui, comme en partie de plaisir, attirés par la variété des divertissemens. Après dîner, il se remettait à l’ouvrage de façon à peindre deux tableaux en un jour, qu’il terminait ensuite avec quelques retouches. » Ces détails, que Bellori tenait de sir Kenelm Digby, devenu plus tard le représentant du roi Charles II auprès du saint-siège, nous montrent quelle rapidité Van Dyck apportait dès lors à exécuter ses portraits et par quels expédiens il parvenait à satisfaire promptement toutes les exigences de sa noble clientèle sans avoir à lui imposer de trop longs ennuis. De Piles y ajoute des renseignemens non moins curieux que lui avait communiqués Jabach, dont Van Dyck avait fait trois fois le portrait : « Van Deik ne travailloit jamais plus d’une heure par fois à chaque portrait, soit à ébaucher, soit à finir, et, son horloge l’avertissant de l’heure, il se levoit et faisoit la révérence à la personne, comme pour lui dire que c’en étoit assez pour ce jour-là ; après quoi son valet de chambre lui venoit nettoyer ses pinceaux et lui apprêter une autre palette pendant qu’il recevoit une autre personne à qui il avoit donné heure. Il travailloit ainsi à plusieurs portraits en un même jour d’une vitesse extraordinaire. Après avoir légèrement ébauché un portrait, il faisoit mettre la personne dans l’attitude qu’il avoit auparavant méditée et avec du papier gris et des crayons blancs et noirs, il dessinoit en un quart d’heure sa taille et ses habits qu’il disposoit d’une manière grande et d’un goût exquis. Il donnoit ensuite ce dessein à d’habiles gens qu’il avoit chez lui pour le peindre d’après les habits mêmes que les personnes avoient envoyés exprès à la prière de Van Deik. Pour ce qui est des mains, il avoit chez lui des personnes à ses gages de l’un et de l’autre sexe qui lui servoient de modèle[1]. » Jabach, il est vrai, l’amateur délicat, s’étonnait un peu de ces façons expéditives, qu’il comparait avec le travail scrupuleux et patient auquel il avait vu le peintre se livrer autrefois, mais Van Dyck lui répondait avec désinvolture que, s’il avait autrefois beaucoup peiné, c’était qu’il travaillait alors pour sa réputation, tandis qu’il travaillait maintenant pour sa cuisine.

La cuisine, en effet, pour laquelle il travaillait, et au feu de laquelle venaient se chauffer tant de parasites, devenait une cuisine de plus en plus dévorante qui absorbait tout, engloutissait tout, brûlait tout. Aux dépenses de table, de domestiques, d’équipages, de représentation, de divertissemens s’ajoutaient les dépenses de

  1. Cours de peinture par principes, composé par M. de Piles ; Paris, 1708, p. 291 et 292.