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Black-Friars, et, pour l’été, une résidence à Utham. Le prix des portraits de la famille royale était alors fixé à 50 livres sterling pour les figures en buste, à 100 livres pour les figures en pied. Pendant neuf ans, le roi et la reine ne se lassèrent point d’admirer ni d’employer leur peintre ordinaire. On connaît encore actuellement dix-neuf portraits de Charles Ier et dix-sept portraits d’Henriette-Marie, sans compter ceux de leurs enfans.

Il était difficile, pour un artiste, de trouver un protecteur plus enthousiaste et plus éclairé que Charles Ier. Ce malheureux roi, d’une intelligence si ouverte, d’un jugement si fin en tout ce qui ne touchait pas l’art de régner, le plus bienveillant des princes, le meilleur des hommes privés, venait de s’assurer, par une mesure qu’il croyait hardie et qui n’était qu’imprudente, une trêve apparente à des préoccupations politiques dont il avait horreur. Trois-ans avant l’arrivée de Van Dyck, il avait pour la troisième fois dissous son parlement grondeur, et, livrant l’autorité sans contrôle aux mains énergiques du comte de Strafford et de l’évêque Laud, il s’abandonnait tout entier à son goût pour les joies de l’esprit. La cour, de son côté, prenant le silence du pays pour une soumission définitive, s’était hâtée de reprendre sa vie joyeuse, trop longtemps interrompue. Poètes, musiciens, artistes de toute espèce étaient accourus de nouveau en foule à Londres. Pendant quelques années, l’élégant Charles, et la toute charmante Henriette purent, dans le bruit des fêtes incessantes, fermer l’oreille au grondement lointain de la grande tempête qui devait les emporter.

Le roi Charles allait souvent passer ses après-dîners à Black-Friars, dans l’atelier de Van Dyck, qui devint bientôt le rendez-vous de l’aristocratie. Le peintre s’était mis sans peine sur le pied qu’il fallait pour faire honneur à de pareils cliens. N’était-ce pas la grande existence qu’il avait toujours rêvée ? Nombreux domestiques, chevaux d’attelage, chevaux de selle, équipages brillans, musiciens à gages, chanteurs et bouffons, il réunit autour de lui tout ce qui pouvait faire de sa vie fastueuse une fête continue, comme celle qui s’agitait sous les colonnades ensoleillées de Paul Véronèse. « C’est avec ce luxe, dit Bellori, qu’il recevait les plus grands personnages, dames et seigneurs, qui, chaque jour, se venaient faire peindre chez lui. Il avait l’habitude de les retenir à sa table, dépensant en mets exquis 30 écus par jour, ce qui semblera incroyable à ceux qui ont l’habitude de notre parcimonie italienne, mais non à ceux qui connaissent les pays étrangers et songent au nombre de gens qu’il nourrissait. En outre, il entretenait des hommes et des femmes comme modèles pour ses portraits, car une fois la ressemblance du visage assurée, il faisait le reste au moyen de ces modèles… Il avait l’habitude de peindre du premier coup, et