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l’affinement de sa sensibilité. Dans toute sa famille, on observait les pratiques d’une dévotion minutieuse, non par crainte du saint-office qui gouvernait encore les Flandres, mais par tradition et par conviction. Son père, directeur de la chapelle du Saint-Sacrement à la cathédrale, fit de nombreuses donations aux confréries et mourut soigné par les dominicains. De ses cinq frères ou sœurs dont le sort est connu, quatre avaient embrassé la vie religieuse, et Antoine, jusqu’à sa mort, conserva avec eux les plus affectueuses relations, les peignant dans ses toiles, leur dédiant des estampes, leur confiant ses intérêts. Lui-même garda probablement, comme la plupart des hommes de son temps, même au milieu des plus grandes dissipations, la foi dans laquelle il avait été élevé, mêlant sans effort le culte intellectuel du paganisme aux pratiques convaincues du catholicisme, comme Rubens qui, levé tous les matins à quatre heures, ne manquait pas d’entendre la messe avant de déshabiller les fortes filles qui allaient poser dans ses mythologies. C’est forcer sans preuve toutes vraisemblances que de signaler, sur le simple vu de quelques tableaux douloureux, un libre penseur dans Van Dyck. Les labeurs excessifs et les agitations mondaines dans lesquels il brûla sa vie lui auraient-ils d’ailleurs laissé le loisir d’agiter en philosophe des problèmes métaphysiques ? M. Alfred Michiels nous parait emporté par son imagination romantique lorsqu’il croit surprendre dans Van Dyck les angoisses d’un sceptique et les haines d’un révolté contre les tyrannies de la terre et du ciel « ayant d’étonnantes similitudes avec Byron. »

Ce n’est pas dans l’atelier d’Henri van Balen, l’honnête doyen de la compagnie de Saint-Luc, que le petit Antoine prit, en tout cas, ces instincts de rébellion. Van Balen, peintre bien intentionné, très soigneux, fort timide, que son séjour en Italie avait, comme tant d’autres Anversois, ébloui sans l’échauffer, jouissait alors, dans la bourgeoisie locale, d’une réputation très supérieure à celle de Rubens, novateur audacieux qu’on surveillait avec méfiance. Il passait une bonne part de son temps à grouper des figurines dans les paysages minutieux de Breughel de Velours et de Josse de Monper. Quand il travaillait pour son compte, il préférait la mythologie à l’évangile, relisait les Métamorphoses d’Ovide, rêvait, au milieu de verdures bleuâtres, des déesses blanches d’une nudité froide s’efforçant de sauver, par des attitudes italiennes, l’incertitude de leurs formes flamandes. Ce bonhomme qui visait à l’Albane avait, à sa façon, un sentiment assez vif de la beauté des femmes et de la grâce des enfans ; il aimait le travail soigné, la peinture luisante, le contour exact, le détail précis, et ne détestait point les allégories. Son enseignement, par bien des côtés, convenait à la nature fine de Van Dyck, qui s’en souvint toujours.