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méthodiquement groupées. M. Guiffrey a donné d’ailleurs une valeur exceptionnelle à son ouvrage, en dressant, avec une patience exemplaire Le catalogue complet des 1,192 peintures de Van Dyck dispersées, dans le monde entier, avec l’indication des graveurs qui les ont reproduites. Ce travail suffirait à faire grand honneur à l’érudition de M. Guiffrey, qui représente dignement cette école moderne d’investigateurs patiens et exacts dont l’activité fait sortir de toutes parts les matériaux solides, avec lesquels on pourra un jour reconstruire sérieusement l’histoire des arts. En ce qui regarde, Van Dyck, bien qu’il reste plus d’un point, obscur dans sa biographie, malgré la rareté de ses écritures, malgré la perte à jamais regrettable de sa correspondance avec Paggi conservée à Gènes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, on peut dès aujourd’hui, grâce aux deux livres de MM. Guiffrey et Michiels, suivre d’un œil sûr, dans une clarté suffisante, les péripéties de son existence, les évolutions de sa pensée, les développemens de son œuvre.


II

L’enfance d’Antoine Van Dyck fut une enfance heureuse. Né à Anvers, le 22 mars 1599, il avait pour père un marchand de toiles fort à l’aise et très dévot, François, Van Dyck, pour mère une jeune femme d’une grâce accomplie et d’un esprit cultivé, Marie Cupers, qui donna à son mari douze enfans, en seize ans : Antoine était le septième. Pendant sa grossesse, Marie Cupers, brodeuse habile, avait, dit-on, exécuté une garniture, de cheminée, représentant la chaste Suzanne, dont on parla par la ville. Un critique allemand n’a pas manqué cette occasion de comparer Van Dyck à Napoléon, dans l’enfance duquel une tapisserie joue aussi un rôle, sa mère Laetitia ayant accouché sur un tapis où était peint un combat de héros. Les objets au milieu desquels grandit un enfant ont une vive action sur le développement de sa sensibilité ; aussi les légendes de ce genre s’accueillent-elles toujours parce qu’elles sont toujours vraisemblables. Quoiqu’il en soit, l’enfant dut montrer de bonne heure un goût décidé pour la peinture, car, dès l’âge de dix ans, on le trouve inscrit sur les registres de la guilde de Saint-Luc comme élève d’Henri van Balen. Deux ans auparavant, le 17 avril 1607, sa mère était morte, et la perte d’une affection si éclairée avait dû troubler profondément son imagination impressionnable. Cette douleur précoce déposa peut-être dans l’âme de l’orphelin le premier germe de cette tristesse attendrie qui devait plus d’une fois, percer dans les œuvres de l’artiste et leur donner un charme, inconnu jusqu’alors à ses robustes compatriotes, d’ordinaire aussi violens dans leurs souffrances que bruyans dans leurs joies. Les habitudes pieuses de son entourage contribuèrent encore à