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court, d’avoir à reprocher à un historien des excès de ce genre. Si l’admiration romantique qu’il professe pour son héros marqué du sceau fatal, à la mode de 1830, peut nous sembler trop absolue, combien d’excellentes aubaines cette admiration intolérante nous procure en chemin ! L’amour que M. Michiels porte à Van Dyck s’étendant à tous les lieux qu’a visités Van Dyck, à tous les êtres qui l’ont approché, le champ de ses observations s’élargit à perte de vue, et les digressions auxquels il se livre à propos des amis, des protecteurs, des élèves du maître ne sont guère moins intéressantes que la vie du maître même. On ne se porterait point garant, à coup sûr, de tous les jugemens qu’il prononce, mais on lui sait gré de les proférer si résolument. D’ailleurs c’est justice à rendre à M. Alfred Michiels que, s’il se trompe avec hardiesse, il confesse ses erreurs avec joie. Écrire de nouveau la vie de Van Dyck était pour lui un devoir de conscience, personne n’ayant plus sincèrement que lui pris pour argent comptant les romans d’Houbraken. Il a accompli cet acte de contrition avec une résignation loyale qui devrait désarmer tous les railleurs, lors même que son livre, écrit avec l’ardeur de mémoires personnels, ne présenterait point un ensemble de faits et d’impressions si animé et si vivant. Malheureusement les erreurs où l’entraîne son impétuosité et qu’il avoue si bien ne le rendent pas plus indulgent pour celles que peut commettre autrui. Personne, dans le monde irritable des érudits, il a la dent plus dure que M. Michiels pour ses confrères moins bien informés ou moins bien doués que lui. C’est là sans doute le secret d’une sorte de silence souvent injuste qui se fait autour de ses ouvrages, malgré leur importance.

Avec M. Jules Guiffrey, on n’a point à redouter de ces digressions téméraires ni de ces emportemens hasardeux. L’auteur de l’Histoire de la tapisserie en France et des Caffieri, l’éditeur des Comptes des bâtimens du roi) le continuateur des Archives de l’art français avait toutes les qualités rigoureuses d’esprit qu’il fallait pour compléter l’enquête commencée par le grave biographe d’Anvers. Strictement enfermé dans son sujet, dissimulant avec une modestie constante sa personnalité, discutant avec impartialité chaque ouvrage de son peintre, n’ayant d’autre souci littéraire que le souci de la clarté, il interroge avec calme et sévérité chaque fait et chaque date qui se présentent et ne les laisse passer que lorsqu’ils lui ont fourni des preuves irrécusables de leur authenticité. Ce n’est point un styliste qui charme l’imagination, c’est un historien qui tranquillise la conscience ; on se sent, avec lui, dans des mains fermes et sûres. Nul admirateur de Van Dyck ne pourra se passer de son livre, car il ne trouvera nulle part un si grand nombre d’informations