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la mort sans doute, l’interrompit dans la tâche commencée ; son manuscrit, durant près d’un siècle, roula de mains en mains à l’aventure sans que personne en connût le prix avant que Fr. Villot l’eût acquis pour notre Louvre. Dans l’intervalle, les érudits, belges et anglais, avec le même esprit méthodique, sans se douter du travail considérable fait avant eux, avaient d’ailleurs commencé dans les archives publiques ou privées des recherches qui, chaque année, mettaient en lumière quelques lambeaux de vérité. La publication des Pictorial Notices par W. Hookham Carpenter et celle du Catalogue du musée d’Anvers, où MM. Van Lérius, de Burbure, de Laet, Génard n’ont cessé, à chaque édition, de consigner avec scrupule et simplicité toutes les découvertes de détail faites par eux ou par d’autres, avaient en particulier établi, par preuves écrites, une série de faits désormais incontestables. Il n’est donc point extraordinaire que deux érudits, se trouvant à la fois en présence d’une pareille accumulation de matériaux, aient cru tous deux le moment venu de construire enfin l’édifice et d’élever au grand peintre admiré par eux un monument digne de sa gloire.

Rien de plus divers, nous l’avons dit, que les tempéramens de ces deux écrivains. Tous deux appartiennent à des races robustes et en ont gardé un caractère commun, la ténacité dans le travail et la vigueur dans les convictions ; mais l’un y apporte toujours la violence exubérante du Flamand de plaine à sang rouge, tandis que l’autre y conserve toujours la fermeté calme du Dauphinois de montagne au pied ferme. M. Alfred Michiels, d’humeur batailleuse, s’élance à travers l’histoire comme un chevalier armé en guerre ; il fond, tête baissée, avec une égale impétuosité dans toutes les lices qui s’ouvrent à lui, réclamant de tous côtés des rivaux pour les pourfendre. Dans sa grande histoire de la Peinture flamande et hollandaise, il a accumulé pêle-mêle, comme un amas de dépouilles enlevées sans choix dans l’ardeur du combat, les trésors les plus précieux d’une érudition passionnée avec les fantaisies les moins utiles d’une imagination romanesque. Ses livres, riches en informations, abondans en vues nouvelles, où la recherche de l’éloquence est toujours chaleureuse et mouvementée, n’inspirent pas aux esprits difficiles une confiance entière. On craint que l’enthousiasme qui le guide ne l’égaré aussi quelquefois, et que les éblouissemens de son style ne troublent la vue de son jugement. Les périphrases ingénieuses de ses descriptions ne semblent pas à tous des ornemens indispensables ; les fleurs de sa rhétorique paraissent à quelques-uns des fleurs un peu fanées. Quoi qu’il en soit, M. Alfred Michiels possède toutes les qualités de ses défauts comme tous les défauts de ses qualités et il l’a bien montré de nouveau dans son Van Dyck. Il ne nous déplaît point, quant à nous, par le temps froid qui