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nous permettent d’apporter un témoignage concluant dans l’affaire, il était juste, en passant, d’établir sur ce point la vérité.

On sait avec quelle légèreté furent écrites en général, au XVIIe et au XVIIIe siècle, les biographies d’artistes. Chez les amateurs même les plus éclairés, qui réunissent, avec amour des anecdotes sur les contemporains, qu’ils admirent, le respect de la chronologie, sans lequel il n’est pas d’histoire, est une vertu tout à fait inconnue. Les dates n’osent dresser leurs chiffres inflexibles, au-dessus de leur prose régulière, et l’on demeure stupéfait de la grossièreté des erreurs qu’ils se transmettent sans sourciller, parce qu’ils ont regardé sans les voir des documens qui couraient toutes les bibliothèques et des signatures qui leur crevaient les yeux. Les peintres flamands et hollandais en particulier, étudiés d’abord sérieusement, mais, incomplètement par Carl Van Mander et Cornelis de Bie, furent bientôt étrangement malmenés par deux folliculaires, d’Amsterdam, Arnold Houbraken et Jacob Campo Veyerman, qui, à quelques années de distance, brassèrent en style de pamphlet leurs biographies et, pour assurer le débit de ces romans, les grossirent tant qu’ils purent d’anecdotes bizarres et de récits scabreux. En 1753, Descamps, l’honnête directeur de l’école de dessin de Rouen, dans sa Vie des peintres flamands, allemands et hollandais, se contenta de copier Houbraken et Campo Veyerman. De toutes ces mains irrespectueuses ou naïves la réputation de Van Dyck sortit fort compromise, et sans que son œuvre s’en trouvât plus éclairée. Les lecteurs friands de scandales purent contempler en lui le type de l’artiste tel que certains esprits, bornés ou romanesques, aiment à se l’imaginer : un être charmant et fatal, doué de tous les vices comme de tous les attraits, un coureur d’aventures, infatigable, et éhonté, subornant, sous tous les soleils, les femmes de tous ses bienfaiteurs, rêveur incompris, viveur effréné, joueur incorrigible, qui finit par expirer, épuisé d’honneurs, enragé de jouissances, sur un fourneau d’alchimiste en cherchant la pierre philosophale.

C’est lorsque Descamps fit passer en France tous ces commérages hollandais qu’un amateur d’Anvers, dont le nom ne nous est pas parvenu, s’émut des, calomnies qui s’amoncelaient sur la mémoire de son compatriote et résolut, d’en avoir le cœur net. Était-ce un homme de loi ? était-ce un homme de lettres ? Nous n’en savons rien. En tout cas, c’était un homme rompu aux affaires. Son enquête fut menée avec la rigueur d’une instruction judiciaire. Il visita les lieux, interrogea les témoins, dressa des procès-verbaux, copia les lettres authentiques, réunit une liasse énorme de contrats, de reçus, de lettres, qui établissaient les faits, précisaient les dates, et quand il eut rassemblé ce volumineux dossier, se mit en devoir d’écrire son rapport. Malheureusement quelque événement inconnu,