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déguisement qui, depuis le départ de Prophtasia, dissimulait sa qualité véritable. Vers trois heures du matin, il va se présenter chez Cléandre. Un ordre du maître sanctionné par l’armée ne laisse à ce soldat, désigné au choix d’Alexandre par son naturel ambitieux et féroce, aucune hésitation. Cléandre ne demande que le temps de réunir le nombre de complices nécessaire ; il les cherche et les trouve parmi les généraux qui ont, ainsi que lui, un facile accès auprès de la victime. Dès le point du jour, tous ces exécuteurs dociles d’une volonté tenue pour sacrée se rencontrent dans le parc royal d’Ecbatane. C’est là, sous les magnifiques ombrages qui ont vu passer les courtisans de Cyrus, que Parménion vient goûter d’ordinaire la fraîcheur matinale et entendre, tout en poursuivant sa promenade, les rapports de ses lieutenans. Cléandre et les autres conjurés l’abordent ; Polydamas lui fait savoir qu’arrivé le matin même de la Drangiane, il n’attend que son bon plaisir pour se présenter devant lui. « Un messager du roi ! un ancien frère d’armes ! qu’on l’introduise à l’instant ! » Polydamas s’avance, l’air riant et joyeux ; Parménion lui fait de la main signe d’approcher. Le traître accourt, impatient, semble-t-il, de donner à son général, après six mois d’absence, ce baiser de paix qui était le salut familier de l’époque. Parménion, sans défiance, lui a ouvert les bras. Polydamas remet à Parménion la lettre écrite de la main d’Alexandre. Le vétéran rompt le sceau de la dépêche royale et en parcourt rapidement le contenu. « Le roi, dit-il, se dispose à marcher sur l’Arachosie. Quel homme ! quelle activité ! Ne serait-il pas temps cependant que, satisfait de la gloire acquise, il songeât à ménager sa vie ? » Est-ce uniquement un intérêt affectueux et presque paternel qui dicte ces paroles ? N’y découvrez-vous pas comme un mélange suspect d’admiration et de blâme ? La réflexion que Parménion fait ainsi à voix haute n’est-elle pas le thème favori des découragés et des séditieux ?

En ce moment, Polydamas tendait au vétéran une prétendue lettre de son fils, dont un habile faussaire avait imité soigneusement l’écriture. Le visage de Parménion, dès les premiers mots, témoigne de la joie que cette lecture lui cause. Pendant que son attention est ainsi absorbée, Cléandre lui porte soudain un violent coup d’épée dans le flanc ; d’un second coup, il l’atteint à la gorge. Les autres conjurés se précipitent sur le malheureux vieillard et l’achèvent. Parménion ne respirait plus qu’ils le frappaient encore. L’infortuné avait, aux premiers jours du règne, secondé Hécatée dans le meurtre d’Attale ; il eut à son tour le sort qui attendait Guise, Ali-Pacha, Wallenstein. Mais combien Alexandre me semblerait déchu, s’il me fallait l’excuser par l’exemple d’un Henri III, d’un Mahmoud ou d’un Ferdinand II ! J’aime mieux m’en prendre au caractère barbare des temps où il vécut. Si grand qu’on soit, on ne s’affranchit jamais