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vainqueur de la Phocide. Eut-il dans ce second effort un meilleur succès ?

Le plus grand patriote que nous offre l’histoire est incontestablement Démosthène. La reconnaissance du peuple athénien ne s’y est pas trompée, et les orateurs du parti de Philippe ont inutilement essayé de ternir cette gloire, qui demeure sans tache. Qu’Eschine se soit mieux conduit dans l’Eubée, que Phocion ait fait meilleure figure sur le champ de bataille, peu importe ; le cœur qui bat le plus chaudement pour la patrie n’en est pas moins celui de l’illustre orateur. Démosthène, sans doute, s’épuise à une tâche vaine ; il ne ramènera pas dans la cité vieillie les vertus de Salamine et de Marathon, mais Hector, lui aussi, a dû plus d’une fois désespérer du salut de Troie. En a-t-il’pour cela moins vaillamment combattu aux bords du Scamandre et son héroïsme nous en paraît-il aujourd’hui moins méritoire ? Démosthène, je l’accorde, fut le chef d’une mauvaise école. Si intelligent, si avisé aux choses de la politique qu’il pût être, il avait, comme tant d’autres, son infirmité mentale : il ne croyait pas à l’avenir d’Alexandre. Que signifiait ce nom de Margitès par lequel l’éloquent railleur se faisait un malin plaisir de désigner l’héritier de Philippe ? Margitès était le niais de la comédie grecque, un infeliz, diraient les Espagnols. Sous les murs d’Athènes, Alexandre apprit à celui qui le croyait encore un enfant ridicule qu’il était devenu « un homme ; » en Asie, il lui montra cette chose rare entre toutes : un homme digne d’être roi. Eh bien ! même à cette heure, mon admiration pour Alexandre ne me rendra pas injuste envers Démosthène : il est des hommes auxquels on ne saurait demander de se convertir ; représentans d’une idée, ils doivent en suivre le sort. Je les plains seulement d’avoir fait un choix qui les met en contradiction manifeste avec les vues de la Providence.


III

Les vides de l’armée grecque se comblaient peu à peu, mais ces nombreux renforts pouvaient-ils rendre au roi les incomparables soldats de la première heure, les braves tombés de fatigue sur les routes ou qui dormaient leur dernier sommeil au fond des gorges de Persépolis ? Le courage n’est pas le lot d’un seul peuple ; il n’est guère de nation qui ne possède une certaine fleur d’héroïsme, fleur qu’on voit s’épanouir aux champs de Jemmapes, de Valmy, de Castiglione et de Marengo. « Ce sont toujours les mêmes qui se font tuer, » disait le maréchal Bugeaud. Quand cette fleur a été moissonnée, il ne faut plus compter que sur un regain de qualité sensiblement inférieure. Les vainqueurs de Wagram, nous assure le duc de Raguse, ne valaient plus les soldats d’Ulm et d’Auerstaedt ; les Anglais ne sont jamais parvenus en Crimée à reconstituer les vieux