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Je ne puis oublier que, conduit, il y a près de quarante ans, dans le cabinet d’un phrénologiste, on m’y montra le masque de l’empereur Napoléon. A l’extrême regret des disciples de Gall et de Spurzheim, la phrénologie ne possède que l’empreinte antérieure de la tête ou s’agitèrent longtemps, devant les peuples muets, les destinées du monde. Quel trait saillant croyez-vous que lui ait révélé le fragment incomplet de ce crâne puissant ? L’organe de la bienveillance développé outre mesure. « Oui ! me disait l’enthousiaste adepte d’une science dont il ne m’appartient pas, d’ailleurs, de me porter garant, oui, j’ai beaucoup étudié l’histoire de Napoléon et je déclare qu’ici même la localisation de nos sentimens et de nos facultés n’a pas menti ; l’empereur était essentiellement bienveillant ; plus d’une de ses fautes doit être attribuée au penchant généreux qu’un examen superficiel lui refuse. » On ne s’en douterait guère en lisant les ordres donnés à l’héroïque défenseur de Hambourg, bien moins encore en se rappelant le jugement sommaire et l’exécution précipitée du duc d’Enghien ; mais il ne faut pas confondre l’homme et le soldat : l’homme peut être doux et le soldat féroce. L’habitude du danger a parfois de fâcheuses conséquences ; elle apprend le mépris de la vie humaine. Quand à tout propos on met son existence en jeu, quand on la tient au fond pour peu de chose, faut-il s’étonner qu’on fasse, à l’occasion, bon marché de la vie des autres ? Ne jugeons donc pas l’âme des grands capitaines à ces rugissemens qui font encore frissonner, comme un vent d’orage, les feuillets de l’histoire. Lorsqu’Alexandre s’incline avec respect devant la famille de Darius, quand Napoléon jette au feu les papiers qui perdaient un conspirateur, nous ne pouvons plus les confondre avec un Néron ou avec un Tibère. Le cœur de l’homme a racheté les violences du soldat.

A partir de la mort de Darius et de l’arrivée des troupes à Hécatompylos, nous nous trouvons en présence d’une conspiration permanente. « Alexandre, nous dit Quinte-Curce, n’ignorait pas les mécontentemens de ses principaux amis ; il les comblait de dons et de faveurs, dans l’espoir de regagner leur affection. » Que reprochaient donc à leur roi ces amis farouches ? Ils lui reprochaient « d’affecter le faste de la cour de Perse et de se rendre semblable aux vaincus. » Alexandre, en effet, n’est plus seulement, à cette heure, le roi de la Macédoine ; le sceptre qu’il aspire à saisir, les Anglais le connaissent : ils l’ont décerné récemment à l’impératrice des Indes. Les Scythes se rassemblaient de toutes parts autour de Bessus : la moindre hésitation avançait très probablement de soixante-quinze ans l’avènement de la dynastie des Parthes. Puisqu’il faut un roi aux barbares, Alexandre va leur montrer la royauté sous le seul aspect que les barbares connaissent. A peine est-il descendu