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jaloux les uns des autres, envieux même d’une gloire qu’ils croyaient naïvement leur ouvrage, les généraux macédoniens s’aigrissaient davantage tous les jours. La mort de Darius était pour eux la fin et le couronnement de l’expédition. A quoi bon désormais poursuivre des bandés éparses, des nomades qu’on ne parviendrait jamais à joindre et à détruire, poussât-on la campagne jusqu’aux derniers confins de la Bactriane ? « Alexandre, disaient-ils, ne s’arrêterait qu’au point où la terre et l’eau lui manqueraient ; il voudrait bientôt aller chercher Bessus et ses partisans chez les Scythes. » En dépit de tous ces murmures, les lieutenans d’Alexandre s’apprêtaient à marcher, — il n’était pas facile de se détacher d’un tel maître., — Alexandre les trouverait dociles, de cette docilité revêche du cheval qui se sent moins fort que son cavalier ; en fait de dévoûment, il ne lui restait plus que le dévoûment de ses soldats. Les soldats aussi murmuraient ; ils ne conspiraient pas. Un seul mot d’Alexandre les rendait à leur enthousiasme.

Il fallait distinguer cependant les troupes de la Thrace et de la Macédoine des contingens fournis par les villes de la Grèce. Le même esprit était loin d’animer ces deux grandes fractions de l’armée. Les Macédoniens ne connaissaient de patrie et de Dieu qu’Alexandre ; les Grecs gardaient au fond du cœur le culte et le regret de la vieille liberté. Ils appartenaient bien au général ; ils marchandaient leur foi au souverain. Alexandre jugea prudent de congédier toute cette portion douteuse, mais il voulut la congédier en roi. Chaque cavalier reçut, à son départ, une gratification de 5,500 francs ; le moindre fantassin toucha une centaine de dariques. La darique était le louis d’or de l’époque. Il se rencontra parmi ces auxiliaires des soldats assez épris encore de leur vaillant métier pour refuser le congé qu’Alexandre leur offrait. A ceux-là c’est une prime de 16,500 francs qui va être sur-le-champ payée. Les trésors de l’Asie subvenaient aisément à ces libéralités excessives et le plus libéral des rois prenait plaisir à les dissiper.

On a de tout temps accusé les souverains d’avoir cherché dans la guerre une diversion aux mécontentemens intérieurs ; Quinte-Curce se garderait bien d’épargner cette imputation au roi de Macédoine. Il ne veut voir dans l’expédition de la Bactriane que l’occasion avidement saisie de prévenir une sédition militaire. Si pareille sédition eût été, comme le prétend Quinte-Curce, à la veille d’éclater, comment expliquerait-on la résignation dont le soldat fit preuve quand le roi, pour début, lui demanda le sacrifice de son butin ? L’armée traînait à sa suite les dépouilles des nombreuses capitales qu’elle avait pillées. Ce n’était pas avec cet attirail qu’elle atteindrait Bessus. « Alexandre, dit Quinte-Curce, fait réunir dans une