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auxquelles la nation est habituée et relever sensiblement les tarifs. Quant à l’Allemagne, on sait que la mainmise de l’état sur les chemins de fer procède d’une pensée exclusivement politique ; c’est un moyen, très pratique d’ailleurs, de hâter l’unification de l’empire. Si nos législateurs républicains veulent chercher des exemples à l’étranger, ils seront mieux inspirés et plus logiques en observant ce qui se fait dans la grande république américaine et en Angleterre, c’est-à-dire dans des pays libres et prospères.

Mieux vaut encore prendre l’exemple sur nous-mêmes ; car, de l’aveu des Anglais et des Américains, nous avons su concilier le principe de la liberté industrielle avec les droits que l’état peut avoir à conserver pour l’utilité générale. Le sol sur lequel est établi un chemin de fer étant déclaré domanial, nous avons pu par cela seul le rendre inaliénable, et décider qu’à la fin des concessions le chemin de fer restera, avec le sol, propriété de la nation. Par le système adopté, nous avons épargné aux compagnies les périls d’une concurrence qui, l’expérience l’a montré, ruine les entreprises et ne profite pas au public. Pour prix de la concession, nous avons stipulé des garanties et réservé à l’état la faculté de contrôle et de surveillance sur la circulation, sur les tarifs, sur tous les détails de l’exploitation, de telle sorte que le gouvernement a le pouvoir d’empêcher les abus et même, dans certains cas, d’imposer des réformes sans avoir les soucis ou la responsabilité de la gestion. Rien de tout cela n’est contraire au principe de liberté. L’état surveille, l’état contrôle, c’est son rôle et son devoir. Si la compagnie a la propriété de son tarif, l’usage de cette propriété est également contrôlé. Il y a dans ce mécanisme prudemment ordonné un reste de la vieille tutelle administrative se combinant avec la pratique des industries libres. La nation se prête encore à cette réminiscence de l’ancien régime ; mais elle ne souhaite pas que le législateur pénètre plus avant dans ses affaires et elle verrait avec surprise que la république restaurât de toutes pièces un monopole d’état. Le rachat des voies ferrées ne serait pas autre chose.


III

D’après la récente déclaration ministérielle, le projet de rachat serait momentanément écarté ; mais pour qu’il cesse d’occuper l’attention publique, il faut sortir de la situation provisoire où se proroge d’année en d’année la question des chemins de fer. Ge n’est point chose facile. D’un côté, le gouvernement affirme qu’il entend ne pas interrompre l’exécution du plan de M. de Freycinet ; d’un autre côté, il annonce que pendant deux ans au moins le trésor ne fera pas d’emprunt. Il faut pourtant de l’argent, et beaucoup, pour