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cette conséquence serait absolument contraire aux idées d’affranchissement, aux principes de liberté qui depuis bientôt un siècle ont été inscrits, même sous des régimes despotiques, en tête de nos constitutions et de nos codes. Que signifiait, lors de notre première révolution, la proclamation des droits du citoyen, sinon la déchéance ou du moins la restriction des attributions que l’état conservait indûment ? Et, de fait, non-seulement en France, mais encore dans tous les pays qui nous entourent, l’histoire du XIXe siècle se compose d’une revendication continue, infatigable, des droits de l’individu et du citoyen contre les attributions excessives du souverain et de l’état. Dans l’ordre politique, la lutte a pour objet la conquête des franchises administratives, l’indépendance des circonscriptions, l’autonomie des communes, la liberté des syndicats, des associations, des groupes de tous genres et en même temps la liberté du citoyen qui veut se syndiquer, s’associer, se grouper à sa guise pour la défense de ses intérêts et de ses droits. Dans l’ordre économique, c’est la liberté du travail qui est en jeu, et ceux des combattans qui prétendent marcher sous la bannière du progrès moderne n’épargnent aucun effort pour abolir ce qui reste de privilèges, de monopoles, de protection octroyée par l’état. Voilà bien la doctrine de notre démocratie. Non pas qu’il s’agisse d’affaiblir l’état, qui représente la souveraineté nationale ; on veut, au contraire, que par-dessus cette foule déchaînée de citoyens et de pouvoirs, le représentant et le dépositaire de la souveraineté soit plus fort que ne le serait un monarque de l’ancien régime ; mais, afin de lui donner le maximum de force, on le débarrasse, ce qui n’est point le désarmer, de fonctions qui ne sont pas les siennes et dont l’exercice peut être restitué aux citoyens isolés ou associés.

Pourquoi, longtemps encore après 1789, l’état a-t-il conservé l’initiative et la responsabilité de l’exécution pour les grands travaux d’utilité publique ? C’est qu’alors les capitaux privés n’étaient pas assez abondans ou qu’ils n’étaient point encore habitués à s’associer. Pour les chemins de fer, par exemple, il a fallu que le gouvernement subventionnât largement les premières lignes et que sur des parcours, devenus bientôt très productifs, il posât lui-même les premiers rails. Aujourd’hui, tout a changé de face. L’industrie est pourvue de capitaux et de crédit, elle est en mesure d’exécuter et de gérer les plus vastes entreprises ; c’est elle et non l’état qui doit construire et exploiter les voies ferrées. Que l’on ne cite pas à l’encontre les exemples tirés de la Belgique et de l’Allemagne. En Belgique, l’état a dû construire la plus grande partie du réseau, précisément parce que les capitaux privés étaient impuissans, et s’il continue à l’exploiter, c’est qu’il faudrait, pour le transférer à des concessionnaires, rompre avec des traditions