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plus souvent engager la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Les chambres de commerce ne s’y sont pas trompées. Il y a quelques années, elles étaient très disposées à critiquer les tarifs et les usages des compagnies, elles sollicitaient fréquemment l’intervention des ministres à l’appui des projets de réforme. Mais, dès qu’il a été question de pousser la réforme jusqu’à la révolution et de remplacer les compagnies par l’état, elle n’ont pas hésité un seul instant à se prononcer pour le maintien du régime actuel. Leurs délibérations, qui se recommandent d’elles-mêmes à toute l’attention de nos législateurs, expriment une opposition résolue aux projets de rachat des chemins de fer. Elles ne veulent à aucun prix de la substitution qui est proposée dans l’agence des transports ; elles repoussent, en théorie comme en fait, l’exploitation par l’état ; elles demandent à être protégées, s’il y a lieu, contre les compagnies au moyen du droit de contrôle qui appartient au ministre des travaux publics ; elles craindraient, si l’état devenait le maître direct et absolu, de se voir opprimées et écrasées.

L’utilité est assurément le meilleur argument que l’on puisse invoquer dans l’étude des mesures d’intérêt public. Nous avons essayé de démontrer que, dans le cas présent, l’utilité n’existe pas. Nous n’en sommes que plus à l’aise pour signaler l’erreur de principe qui serait commise, erreur capitale sur un point qui intéresse au plus haut degré l’organisation du gouvernement actuel et de la société contemporaine. Quelles sont, sous un gouvernement démocratique et dans notre société réformée, les attributions légitimes de l’état ? Quel est le rôle des pouvoirs publics, quel est leur droit d’intervention et jusqu’où ce droit peut-il s’étendre au regard des opérations multiples auxquelles se livre l’activité des citoyens dans un grand pays ? C’est l’une des plus grosses questions de l’économie politique appliquée au gouvernement. Entre les théoriciens il y a désaccord sur le principe, et ceux qui paraissent s’accorder quant au principe discutent encore sur le degré d’application.

Selon la doctrine dite collectiviste, tous les instrumens de travail appartiennent à l’état, qui seul peut les mettre en action pour répartir les produits et les profits entre les membres de la communauté. Dans ce système, les chemins de fer, comme les canaux, les mines, etc., seraient nécessairement exploités par l’état, non point parce que l’industrie privée serait incapable de diriger les entreprises, mais parce qu’elle réserverait à une fraction de privilégiés la jouissance des bénéfices qui doivent revenir également à tous les citoyens. Sans le vouloir assurément, les partisans du rachat des voies ferrées conseillent une mesure qui descend en ligne directe de la doctrine collectiviste et qui, gagnant de proche en proche, aboutirait à l’expropriation, à la confiscation de tous les instrumens de travail. Or