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lord, non pas une maladie vulgaire, une maladie naturelle, mais une maladie étrange, « une maladie inexplicable, » d’où vous allez voir sortir une catastrophe encore plus étrange. En effet, il fallait bien trouver une démonstration de l’idée de M. de Goncourt, et une de ces démonstrations qui désarment l’incrédulité même. L’idée, peut-être l’entrevoyez-vous maintenant, c’est que le démon du théâtre, « le diable au corps » dont parlaient nos pères, ne lâche pas sa proie. Comment vous y prendriez-vous? Rien de plus simple. Nous, nous allons terminer la maladie de lord Annandale par une « agonie sardonique. » À ce spectacle « des jeux bizarres du muscle risorius et du grand zygomatique, » la Faustin, mise en face « de la plus étonnante chose qu’il soit donné à un artiste dramatique de voir, » sentira renaître insensiblement en elle l’instinct « despotique « de l’imitation théâtrale. Elle se retournera vers la « glace verdâtre de la vieille toilette, » le mourant reprendra connaissance, appellera ses laquais, « fera mettre dehors cette femme... » et le roman est terminé.

Sera t-ce là par hasard, ce « roman réaliste de l’élégance » qu’il y a trois ans M. de Goncourt nous promettait dans sa préface des Frères Zemganno? Les Frères Zemganno, nous étions prévenus, on ne nous prenait pas en traître, c’était a de l’imagination dans du rêve mêlé à du souvenir. » Pourquoi pas « du rêve dans du souvenir mêlé à de l’imagination? » ou « du souvenir dans de l’imagination mêlée à du rêve? » (Les phrases de M. de Goncourt ont cela d’admirable que par quelque bout qu’on les prenne, c’est toujours le même non-sens). Aujourd’hui donc la Faustin serait-elle « l’étude appliquée, rigoureuse et non conventionnelle de la beauté, une étude pareille à celle que la nouvelle école venait de faire de la laideur, » dans l’Assommoir et, bien des années auparavant, dans Germinie Lacerteux? J’en ai peur pour M. de Goncourt. Beaucoup des notes au moins qu’il avait prises pour cette étude ont passé dans la Faustin; elles sont datées; et il me paraît visible qu’elles ne sont pas d’hier dans les tiroirs du romancier. J’aurais souhaité, — car il y en a quelques-unes qui ne manquent pas d’un certain intérêt, — qu’il en fît un plus habile emploi; mais, et quoiqu’il charge sa composition d’autant d’intentions que son style, il ne sait pas composer. Expliquons rapidement ce que nous voulons dire par ce mot: car s’il est un reproche que nos soi-disant naturalistes repoussent plus vivement qu’aucun autre, c’est celui-là.

On nie quelquefois l’influence de la critique, et le fait est qu’on ne voit pas qu’elle ait jamais eu grand empire pour détourner un homme de talent de la tentation à laquelle par malheur il cède le plus volontiers, et qui est d’abonder dans le sens de ses défauts. Mais, en revanche, et par une compensation tout à fait désastreuse, la critique n’a jamais ou presque jamais hasardé une idée aventureuse qu’il ne se soit rencontré