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font rire au théâtre, sous le personnage des Alceste ou des Harpagon, qu’est-ce qu’ils apportent, et pour ainsi dire, qu’est-ce qu’ils versent d’eux-mêmes, quel fonds de tristesse ou de gaîté, dans le rôle qu’ils interprètent? Mais celles qui nous font pleurer, les reines de tragédie et les héroïnes de drame, qu’est-ce qu’elles emportent de leurs allures de théâtre dans la vie quotidienne? On pouvait prendre par un autre biais. Car pourquoi n’étudierait-on pas aussi la tragédienne ou le comédien à l’œuvre, dans la composition de ses rôles, dans l’approfondissement de son personnage, dans la préparation de ses effets, dans la technique enfin de son métier et dans l’esthétique de son art? C’est un peu ce que M. de Goncourt a essayé, mais, à ce qu’il me semble, sans beaucoup de succès. Et d’un sujet qui pouvait être un intéressant sujet d’éludé, il n’a su tirer que le roman des amours d’une fille qui serait au théâtre. On mettrait l’illustre tragédienne de M. de Goncourt au théâtre des Batignolles que je ne vois pas en vérité ce qu’il faudrait changer au roman. Assurément, c’était son droit. La seule observation que je veuille faire, c’est qu’il n’y a pas dans le récit ainsi conçu ombre seulement de naturalisme. Empressons-nous aussitôt de dire qu’il n’en vaut pas pour cela beaucoup mieux.

La Faustin, séparée de son lord écossais, a repris la vie de théâtre. Richement entretenue par u un des plus fiers estomacs » de la Bourse, elle écrit infatigablement à l’amant d’autrefois des lettres qui demeurent sans réponse, on ne sait trop pour quelle raison, si ce n’est qu’il a plu ainsi à M. de Goncourt. Entre temps elle se prépare à débuter dans Phèdre. Plaignons les tragédiennes qui se préparent à débuter dans Phèdre, s’il est vrai, comme je ne l’admets pas un instant, qu’elles doivent passer, pour entendre seulement le rôle, par les expériences que M. de Goncourt suggère à la Faustin ! « L’idée habitait l’artiste que, s’il ne lui était pas accordé par le hasard d’avoir son être remué par une passion, un caprice fougueux, une passade tempétueuse, par une brusque révolution dans le train-train de son existence amoureuse, elle ne trouverait pas la tendresse, l’ardeur, la flamme, enfin les moyens dramatiques qu’exigeait le rôle de feu de Racine. » Las! qu’elle est vieille cette idée romantique de l’inspiration cherchée dans le libertinage des sens et la débauche de l’esprit ! Mais en revanche qu’elle est fausse! Kean, ou Désordre et Génie, comme ce titre, comme ce sous-titre datent!.. Je n’ai pas besoin de dire que la Faustin joue avec un succès tel qu’on n’en voit que dans les romans. Le lendemain même de ce grand succès, William Rayne, devenu lord Annandale, débarque à Paris, où sa première visite est pour sa tragédienne, qu’il surprend au bain, ce qui nous est une occasion d’avoir trois ou quatre pages de collectionneur de bibelots sur l’aménagement d’une salle de bains. Immédiatement le coulissier de la Faustin se tue, et voilà lord