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Cela débute par une espèce de confession de la Faustin, une tragédienne illustre, racontant « sous un ciel étoile, au-dessus d’une mer phosphorescente, » et d’une voix « qui est comme un ressouvenir passionné qui parlerait tout haut dans un rêve, » l’histoire de ses amours avec un grand seigneur écossais, d’étranges amours, des amours en musique, dans une chambre d’hôtel, où il y avait un orgue encastré dans le mur, et qui… mais vous me feriez dire des sottises ; et je préfère vous transporter sans plus attendre dans un décor plus romantique encore, au fond de l’Ecosse, dans un château en ruine, avec des « verdures pâles, comme il doit y en avoir dans les limbes, » de la vieille pierre, de la mousse, des paons blancs et « un parc qui s’était rapproché d’année en année. » Et voilà pourquoi la Faustin a conservé l’éternel souvenir de William Rayne. Car « l’amour n’est pas fait de l’amoureux tout seul, » comme dit M. de Goncourt, réflexion neuve, assurément, et dont un « sensitif » pouvait seul trouver la notation.

Il y avait cependant un commencement d’idée dans le roman. Et je m’attendais, puisque M. de Goncourt mettait une comédienne en scène, à tout le moins qu’il l’étudiât. Il est vrai qu’on abuse un peu beaucoup, depuis quelques années, de la comédienne et du comédien. Je les aime assurément, mais à leur place et en leur temps, c’est-à-dire au théâtre. Le reste, — la manière dont ils vivent, qui ne regarde qu’eux, leurs déplacemens et leurs villégiatures, le chiffre de leurs appointemens, l’adresse de leur couturière et de leur costumier, que sais-je encore? — il y a peu de choses en ce monde qui m’intéressent moins. S’il importera peut-être dans l’avenir aux ramasseurs de menus détails de savoir qu’en 1882 la loge de Mlle Lloyd « avait aux murs une riante exposition d’assiettes de Chine » et la loge de Mlle Samary « un original plafond fabriqué d’éventails japonais, » je l’ignore ; mais, que Mlle Samary se préoccupât d’acquérir dans son jeu l’autorité qui lui manque et que Mlle Lloyd perdît de sa diction un peu lourde, à moi qui ne collectionne ni les assiettes de Chine, ni les éventails du Japon, voilà ce qui m’importerait. Enfin, et quoi qu’il en soit de ces réflexions maussades, M. de Goncourt, voulant faire une étude de comédienne « d’après nature » pouvait s’y prendre de deux manières.

Il pouvait étudier (et c’eût été psychologiquement curieux) la réaction des habitudes de la vie du théâtre sur les façons d’être de la vie réelle. En effet, c’est ici de ces professions, comme il y en a quelques-unes, dont on reçoit profondément l’empreinte, que l’on ne dépouille pas à volonté, mais qui s’insinuent dans l’être tout entier et le façonnent, le disciplinent, le transforment insensiblement, obligé qu’il est, par force ou par gré, de vivre une moitié de sa vie dans l’atmosphère la plus factice qu’il y ait, de conformer son personnage réel, l’homme ou la femme qu’il est, aux sentimens, aux passions, aux idées des personnages qu’il est chargé de représenter sur la scène. Ceux qui nous