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milieu de nous que des espions, rachetant auprès de leurs coreligionnaires une défection apparente par un redoublement de fanatisme et de haine envers le conquérant.

La situation des traducteurs a moins d’importance politique. Au point de vue social, elle a l’importance des fonctions de luxe que toutes les nations civilisées rehaussent avec un soin jaloux. Et, cependant, qui mieux que nos traducteurs pourrait préparer ces mille petits livres populaires en langue arabe ou berbère, destinées à répandre dans le monde musulman l’influence de la France ? Les Berbers surtout, qui n’écrivent pas leur langue, seraient heureux de la trouver exprimée au moyen de nos caractères et se familiariseraient vite avec notre écriture en même temps qu’avec nos idées. La langue populaire des Arabes peut aussi se prêter à ces tentatives, dont les missionnaires nous ont déjà donné les exemples les plus encourageans. Mais quant au côté purement artistique de sa profession, nous avons déjà émis le vœu que le traducteur reçoive le dépôt des sciences dites orientales, ou, pour mieux définir son rôle, s’occupe, accessoirement à ses fonctions, d’acquérir, de conserver, de vulgariser et de faire progresser toutes les connaissances qui peuvent seulement s’acquérir avec l’aide des idiomes sémitiques et berbers.

Le champ est vaste et presque inexploré. Chacun se spécialisera dans le genre de travail qui lui plaira le plus ou dont les élémens seront le mieux à sa portée. Celui-ci s’empressera d’étudier l’occupation phénicienne avant que les rares monumens qui en restent soient détruits ; celui-là recueillera les traditions écrites ou orales sur l’arabisation du Maghreb ; un autre cherchera les règles de la transformation de l’arabe littéral en l’idiome parlé aujourd’hui par les Barbaresques et appréciera l’influence des idiomes aborigènes sur la langue du conquérant.

Que d’élémens pour les thèses, essais, monographies de nos futurs orientalistes ! La plupart de nos interprètes, parmi les Français ou les indigènes élevés à la française, seraient capables de fournir aux savans d’Europe des études très curieuses sur des faits encore inconnus de la linguistique et de l’ethnographie. Au gouvernement à prendre l’initiative et à provoquer la fondation d’un recueil périodique destiné à faire connaître ces richesses cachées. Et que l’on stimule le zèle des chercheurs par l’appât des récompenses honorifiques et de l’avancement ; que le plus digne soit toujours signalé par l’éminence de sa situation en même temps que par la supériorité de ses œuvres.

N’est-il pas regrettable que l’Algérie, après cinquante ans d’occupation, n’ait encore guère produit que des savans inconnus ? Combien de célébrités de mauvais aloi ont au contraire accaparé l’attention, sinon l’admiration d’un public crédule ! Bien des hommes sérieux ont passé