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vise et fasse enregistrer par duplicata la pièce traduite en même temps que son acte à lui, sa traduction, qui acquiert ainsi date certaine et valeur authentique.

Que cela se fasse, et l’on ne verra plus se reproduire de faits monstrueux tels que ceux que je vais rappeler : un interprète est révoqué et il peut continuer indéfiniment à faire des traductions écrites, portant date antérieure à sa révocation ; un interprète est empêché et on assermente un traducteur (ceci n’est plus légal, mais se fait souvent) qui pourra signer, pour le jour de sa prestation de serment, un nombre illimité de traductions ; une traduction ne convient pas à quelqu’un, qui va trouver un autre traducteur et, par un moyen ou par un autre, ou simplement par hasard, obtient une modification favorable, surtout si le texte est obscur, comme il arrive souvent. Il importe du reste d’assurer le contrôle d’un acte aussi sérieux, et nous proposons l’emploi de traducteurs-inspecteurs chargés de vérifier les traductions et intéressés à signaler les fautes. En cas de contestation, il y aurait lieu de prévoir la composition d’une commission d’experts, car rien n’est plus difficile parfois que d’établir la supériorité d’une leçon sur une autre.

Il nous reste, pour n’être pas trop incomplet, à parler de l’importance des interprètes et des traducteurs en dehors de leurs fonctions publiques que nous venons d’étudier.

Les interprètes judiciaires viennent au premier rang sous ce rapport, car ils sont continuellement en relations avec les indigènes, et presque toujours notre influence de civilisés sur ces demi-barbares ne s’exerce que par leur intermédiaire. Il faudrait donc s’assurer le plus possible de leur fidélité.

L’interprète, qui sera le plus souvent indigène, devrait être d’abord convaincu de la supériorité de notre nation sur la population conquise, et la meilleure garantie de cette conviction, ce serait l’adoption, exigée pour lui, de la nationalité et du costume français. Il y a quelque chose de choquant dans ce fait d’un auxiliaire de la justice conservant à côté du magistrat le vêtement de sa race et se refusant à adopter celui que les peuples les plus tardivement entrés dans la vie moderne ont revêtu depuis longtemps. Pourquoi un fonctionnaire français ne serait-il pas tenu de s’habiller aussi décemment qu’un fonctionnaire turc ou égyptien ? Et, d’autre part, n’est-il pas révoltant que le premier agent, le porte-parole et le confident du juge français puisse être soumis, pour ses affaires personnelles, au juge musulman ? La naturalisation et l’obligation de porter le costume français devraient être des conditions nécessaires à l’admission de tout indigène à tout emploi de l’état, mais on devrait surtout observer cette règle dans la nomination des interprètes judiciaires, qui, trop souvent, ne sont au