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en vain de secouer leur joug. Il y a dans cette façon de comprendre un tel sujet une inspiration aussi ingénieuse que hardie et que l’art a su réaliser avec toute la perfection qu’elle comportait dans une série d’épisodes qui offrent entre eux la plus riche variété. Ici, c’est une jeune déesse qui, avec l’expression d’un indicible mépris, pose le pied sur le visage de son ennemi étendu devant elle. Plus loin, une autre déesse d’une beauté accomplie se trouve placée en face d’un géant à forme humaine, jeune et beau comme elle. Mis ainsi en présence l’un de l’autre, ils se regardent et semblent hésiter à engager le combat. Citons encore cette figure de femme à cheval, probablement Séléné, qui, tournant à demi le haut de son corps, présente au spectateur ses traits gracieux, dans une attitude d’une noblesse exquise. Avec quel art enfin dans ce personnage d’Hécate, pour lequel il était bien obligé d’accepter le type consacré, le sculpteur, sachant masquer ce que la représentation de ce triple visage et de ces six bras pourrait avoir de difforme et de rebutant, est arrivé à produire une image vraiment sculpturale, alors qu’un tel sujet semblait lui en interdire la possibilité!

Mais sans nous arrêter à relever en détail tant de beautés jetées comme à profusion dans ce magnifique ensemble, remarquons maintenant à quel point l’originalité s’y concilie au respect des grands principes de la sculpture. En dépit du mouvement et de la fougue qui éclatent dans cet art, il reste simple et maître de lui. Dans ces groupes enchevêtrés, dans ces figures qui paraissent se détacher du fond pour s’élancer au combat, les gestes sont toujours clairs et les silhouettes nettement définies. Le jet des figures s’accuse d’une manière si franche dans leurs moindres détails que l’esprit presque involontairement en complète les parties mutilées; il croit voir l’expression d’un visage absent, il achève un mouvement interrompu. L’exécution, très puissante, a la même richesse et la même variété. Irréprochable dans les nus, elle procède par grands plans; elle accuse largement les principales divisions du corps et ajoute à la plus scrupuleuse correction le charme d’une vie puissante et d’une souplesse extrême. Autour des personnages flottent des draperies profondément fouillées qui font ressortir leur force ou leur grâce et ajoutent à l’énergie de leur action. Mais les têtes surtout méritent d’être admirées. Elles offrent toutes les acceptions de la beauté : impassibles chez les dieux, elles montrent chez quelques-uns de leurs adversaires des angoisses ou des douleurs extrêmes ; vous diriez que le marbre lui-même palpite, souffre et crie. Enfin l’ornementation, elle aussi, doit être signalée pour son élégante sobriété, et les chars, les jougs, les harnais, les armes et les brodequins sont décorés avec autant de goût que de richesse.