Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les blocs superposés qui la supportaient nous fournissent d’ailleurs tous les renseignemens que nous pouvons désirer sur l’autour de cette figure et sur sa destination. Confirmant le témoignage formel de Pausanias, ces inscriptions nous apprennent, en effet, que « cette statue a été érigée par les Messéniens et les Naupactiens, comme dîme du butin pris aux ennemis. » La Victoire dont il s’agit ici, celle de Sphactérie, nous donne approximativement la date du monument, qui doit être fixée entre 422 et 420 avant Jésus-Christ. Quant aux adversaires auxquels fait allusion cette vague appellation « les ennemis,» ce sont les Spartiates, qu’autant par crainte de les froisser[1] que par un sentiment de convenance patriotique, les Messéniens n’ont pas voulu désigner d’une manière plus formelle en face du temple de Jupiter Olympien. Au-dessous de la première inscription, en caractères plus petits, sont gravés ces mots : « Pæonios de Mendé a fait cet ouvrage et il a remporté le prix pour les acrotères du temple. » L’un de ces acrotères mentionné par Pausanias, qui le vit encore en place, était précisément une Victoire en bronze doré qui couronnait le faîte du fronton, et le succès que cet ouvrage valut à Pæonios dans un concours public avait probablement décidé les Messéniens à lui en demander une reproduction en marbre. Mais si dans l’œuvre primitive, conçue par l’artiste pour être exécutée en bronze, les points d’appui avaient pu être moins accusés, il n’en était pas de même pour une statue de marbre qui avait besoin d’être reliée plus solidement à la masse, afin d’assurer sa stabilité. L’obligation de renforcer ainsi les attaches donne quelque lourdeur à certains aspects de la statue, qui se présente plus heureusement de face que de profil. A côté de ce défaut en quelque sorte originel, on peut encore relever d’autres imperfections. Les draperies manquent un peu d’ampleur ; maigres sur le ventre, elles offrent sur la jambe des plis nombreux et peu motivés, puisqu’ils contrarient la forme au lieu de l’accuser. Le costume pourrait aussi être disposé avec plus de goût; son agencement est assez étrange et ne s’explique guère; le modelé même de la jambe gauche et de la poitrine rappelle les rondeurs un peu sommaires que nous avons observées dans l’Athéna du lac Stymphale. Mais, en dépit de ces légères critiques, même sans la signature de l’artiste, on reconnaîtrait ici une œuvre personnelle et originale, et, vue de face, la figure produit une vive impression. On est frappé de l’allure joyeuse et triomphante de cette messagère; on

  1. Les Messéniens avaient quelque raison de ménager ces redoutables voisins, dont plus d’une fois ils avaient subi le joug et avec lesquels ils devaient encore se rencontrer plus tard, ainsi que l’attestent d’autres inscriptions relatives à des règlemens de frontières, inscriptions gravées sur des tablettes trouvées au pied de la statue ou même sur le socle, qui faisait ainsi pour eux l’office de véritables archives.