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diplôme de licencié. Nos lycées n’auront plus que des professeurs abrégés. Les plus vaillans et les plus instruits mettront en usage les moyens de travail qui leur auront été donnés et subiront les épreuves du doctorat pour recruter les facultés. L’enseignement à tous ses degrés sera meilleur, et les maîtres, mieux instruits, aidés par de meilleurs livres, feront pénétrer dans toute la nation la connaissance de notre histoire.

Telle doit être, en effet, la pensée maîtresse et directrice de ce grand travail qui s’accomplira, si nous le voulons bien : apprendre aux Français leur histoire. Ils l’ignorent plus qu’aucun autre peuple civilisé n’ignore la sienne. On en a dit la cause : pour juger des effets, il faut faire la curieuse et triste expérience de chercher dans l’esprit de jeunes hommes sortis de l’école primaire ou de l’école secondaire les souvenirs que l’enseignement historique y a laissés. L’élève de l’école primaire apprend des noms, c’est-à-dire des mots, et des dates, c’est-à-dire des chiffres, reliés par des phrases et des formules ; mais on ne sait pas mieux son histoire, pour avoir rangé dans sa tête un magasin de faits et de dates, que sa langue pour appliquer imperturbablement en tout cas difficile la règle des participes ou toute autre invention des grammairiens. L’élève de l’enseignement secondaire donne au baccalauréat la mesure de sa force. Si l’on écarte, d’une part, la catégorie misérable et nombreuse des candidats spécialement dressés pour l’examen, nourris, comme certains volatiles, par des procédés artificiels, indifférens à tout ce qui n’est pas du programme, ignorans jusqu’au scandale, capables même de ne pas dire l’ordre où se sont succédé nos dynasties nationales, et, d’autre part, les rares jeunes gens qui, doués d’une aptitude particulière et, bien instruits par de bons maîtres, satisfont l’examinateur en montrant qu’ils comprennent l’histoire, il reste une moyenne de candidats honnêtes. Ceux-ci savent plus d’une chose qu’ignore l’élève de l’école primaire : des détails sur quelques hommes et sur quelques événemens, des faits de l’histoire étrangère ; mais il ne faut pas leur demander de pénétrer au-dessous de la surface : la banale surface est tout ce qu’ils connaissent. Ils diront tous les termes du problème de la succession d’Espagne, par exemple ; mais si l’on cherche leur sentiment sur le droit de ce prince à disposer de ses peuples par testament, de cet autre à revendiquer les mêmes peuples du chef de sa femme, de sa mère ou de sa grand’mère, — sans que les peuples s’indignent ou même s’étonnent, — le candidat n’a pas de sentiment sur ce point. Il ne sait pas l’ordre chronologique des idées générales qui ont réglé l’opinion de l’humanité sur elle-même et celle des nations dans leurs rapports avec leurs chefs: cela pourtant, c’est de l’histoire. Ils énuméreront les