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Irlandais aux traits un peu accentués. En chaire, il annonce qu’un certain nombre d’enfans n’étant pas envoyés par leurs parens à l’école du dimanche, il publiera la semaine suivante leurs noms à la grand’ messe. Une vente a lieu en ce moment pour les besoins de la chapelle. Toutes les familles de la paroisse y sont venues, mais représentées souvent par un seul de leurs membres. Ce n’est pas assez, et il compte que chaque membre de chaque famille y viendra acheter quelque chose dans la limite de ses moyens. Tout en l’écoutant, je me demande si un curé français, indépendant cependant de ses paroissiens, oserait jamais leur parler sur ce ton d’autorité. Est-ce un bien? est-ce un mal? C’est là une grosse question que je n’ai pas même le temps de discuter dans mon esprit, car nous nous précipitons en voiture pour aller voir les chutes. Je dirai très sincèrement les impressions que j’ai ressenties.

Nous suivons d’abord pendant un quart d’heure un chemin détestable à travers un pays absolument plat et trivial. Ce pays était autrefois couvert de bois. Il est complètement nu aujourd’hui et aussi prosaïque qu’une plaine de Champagne. Nous allons d’abord visiter, à un quart de lieue environ, au-dessous de la chute, ce qu’on appelle les Whirlpool rapids. C’est un endroit où la rivière, profondément encaissée entre deux berges à pic, se brise avec impétuosité sur des rochers par-dessus lesquels elle rebondit. « Pour admirer, dit une annonce distribuée à profusion, ce magnifique spectacle qui donne à l’homme une si haute idée de la puissance de l’Éternel, il faut se rendre à l’ascenseur de MM. Buttery fils. » C’est, en effet, à l’ascenseur de MM. Buttery fils que nous nous rendons, et nous descendons du haut de la berge, dans une sorte de boîte carrée mue par un rouage hydraulique, non sans quelques cris d’émotion de nos compagnes de voyage, qui, en vraies Parisiennes, allais-je dire, viennent, pour la première fois, au Niagara. Le spectacle de cette lutte entre la force d’une masse d’eau lancée avec impétuosité et les obstacles jetés sur son passage est plutôt curieux que grandiose, mais ce qui en fait surtout la beauté, c’est la hauteur des berges escarpées entre lesquelles la rivière est encaissée. Le cours du Rhône après Bellegarde, aux environs de ce qu’on appelle improprement la perte, peut en donner une idée, mais à la condition que par l’imagination on double ou triple la largeur du fleuve. Les Whirpools rapids (toujours d’après l’annonce) ont leur héros ; c’est un intrépide navigateur du nom de Robinson qui les aurait franchis sur un petit bateau à vapeur, dont il tenait lui-même la barre. Mais ce que l’annonce ne dit pas, c’est que ce héros était tout simplement un mauvais payeur qui voulait dérober à une saisie le bateau, gage de ses créanciers. Il a réussi, el une légende s’est