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par couples. Pareille organisation est-elle impossible dans notre pays (et je suis assez porté à le croire), ou simplement n’a-t-elle jamais été essayée? Sans soulever ici cette question qui touche à bien des choses, je me bornerai à résumer l’impression que nous avons remportée de cette visite. En France, si à cet âge de l’inquiétude et des vagues désirs où il faut faire le choix définitif d’une carrière, un jeune homme hésite à suivre celle des armes, son père fera prudemment de ne pas lui laisser voir Saint-Cyr. En Amérique, au contraire, il n’aura qu’à le conduire à West-Point.

De l’école, une route ombragée et par exception bien entretenue (en général, les chemins sont détestables aux Etats-Unis), nous conduit jusqu’à l’hôtel où nous devons passer la nuit. Nous y arrivons vers les six heures et nous le trouvons pavoisé en notre honneur. Les quelques heures que nous avons passées à l’école n’ont pas été perdues. La cage de l’escalier, les rideaux du salon, les ornemens des lustres, tout est habillé aux trois couleurs, jusqu’à de petits enfans qu’on nous présente et que nous embrassons, naturellement. Je pense à cette caricature, tout à fait inoffensive du reste, qu’un de mes excellens collègues de l’assemblée nationale a faite pour le Musée des souverains et qui représente le voyage triomphal d’un des membres de la famille Arago à travers un département du midi avec cette légende : Emmanuel baptisans trans Gurumnam pueros septembrigenos. Mais nous n’allons point jusque-là. Après un dîner, dont l’imagination fantaisiste du cuisinier a rajeuni le menu en donnant à des plats fort connus le nom de quelques-uns d’entre nous, nous passons dans le salon, où nous trouvons installée la musique militaire de l’école. Je ne crois pas qu’Américaine puisse entendre les accords d’un orchestre sans aussitôt se mettre à danser, et j’en ai déjà eu la preuve sur le bateau, où nos compagnes de voyage n’ont pas pu résister à la tentation d’un tour de valse au son de la musique du bord. Un petit bal s’organise en effet, et j’admire la grâce avec laquelle les Américaines ont légèrement modifié le mouvement de la valse à trois temps en y ajoutant une sorte de balancement onduleux; cela s’appelle le Boston. Peu expert au reste en cette matière, je quitte la salle de bal avec deux ou trois de mes compagnons et je descends jusqu’à un petit pavillon qui est presque à pic sur l’Hudson. Là nous restons longtemps fascinés par le spectacle que nous avons sous les yeux. Le large fleuve s’argente comme un miroir sous les rayons de la lune; des bateaux, qui vont et viennent, glissent silencieusement sur ses eaux tranquilles, et leurs fanaux verts ou rouges trahissent seuls leurs mouvemens. Nous entendons de loin les accords de l’orchestre qui nous arrivent par bouffées inégales et en levant la tête nous pouvons apercevoir sur le balcon qui entoure la salle de bal des couples qui