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dans les habitations plus modestes, mais très confortables encore, ayant chacune son jardin rempli de fleurs. Ils vivent là avec femmes et enfans et peuvent associer ainsi la vie de famille avec l’accomplissement de leurs devoirs professionnels. Les officiers d’un rang inférieur demeurent tous ensemble dans un bâtiment isolé. Ils vivent en mess, comme les officiers de quelques-uns de nos régimens à Paris, mais leur salle à manger, leur fumoir, ont l’air d’appartenir à une maison particulière élégante, sinon luxueuse. En un mot, ils sont traités par l’état en gentlemen. Quelques-uns des officiers qui font partie de notre délégation militaire ont été instructeurs à Saint-Cyr, et ils font un retour sur les conditions d’existence qui leur étaient faites, sur les petites chambres qu’on leur allouait dans l’intérieur de l’école, sur les médiocres appartemens qu’il leur fallait louer au dehors à un prix exorbitant. La comparaison n’a rien de flatteur pour notre patriotisme, et nous échangeons nos réflexions à demi-voix.

Quant aux élèves, ils sont logés deux par deux dans des chambrettes d’une propreté minutieuse. Tous les locaux qu’on nous fait visiter, salle à manger, salles de cours, sont dignes de l’aspect extérieur du bâtiment, qui est fort grandiose. Nous nous informons du temps que les cadets passent à l’école, de leur genre de vie, des conditions d’admission. On pourrait croire que dans ce pays d’égalité démocratique un concours sévère en ouvre seul l’accès. C’est juste le contraire, et l’entrée n’en est due qu’à la faveur et au patronage. Dix élèves sont nommés directement par le président de la république; de plus, chacun des districts électoraux qui envoie un représentant à la chambre des députés a droit à un élève qui est désigné tous les quatre ans par le député du district. Le cours d’études étant de quatre ans, chaque district est toujours représenté par un élève. L’examen d’admission, presque nul, ne sert qu’à écarter les incapables. Quant aux règlemens intérieurs de l’école, aux statuts, à la discipline, dans ce pays qui est réputé celui de la mobilité perpétuelle, rien n’y a été changé depuis la création de West-Point, c’est-à-dire depuis quatre-vingts ans, non plus qu’à l’uniforme coquet dont j’ai parlé. Les cadets restent d’abord deux ans sans quitter l’école. Ils vont alors en congé dans leurs familles pendant deux mois, puis ils passent de nouveau deux ans sans un jour de congé. Mais pendant l’intervalle des cours et des études, ils peuvent se promener librement dans le rayon d’un mille et voir qui bon leur semble. Aussi a-t-on établi dans les environs plusieurs hôtels très élégans où les familles des cadets viennent passer l’été. L’heure de notre visite est précisément une de celles dont les élèves ont la libre disposition. Aussi, en voyons-nous beaucoup qui se promènent aux alentours avec des jeunes filles, par bandes et surtout