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l’aspect d’une modeste maisonnette où un de nos semblables a respiré n’émeut-il pas davantage l’imagination que celui d’un champ de blé où s’est décidé par les armes le sort d’une nation ? Aussi me fais-je montrer la petite église dont, à sa mort, Washington Irving était l’un des gardiens, et le cimetière où par une de ces belles journées d’automne, claires et calmes, qu’il aimait à décrire, les solennelles paroles du service anglican ont été prononcées sur sa tombe : « La terre à la terre, la poussière à la poussière, et l’esprit à Dieu qui l’a fait. » Je me réjouis même d’apprendre que le dernier vœu de son testament a été exaucé et que cette petite maison, embellie par lui avec tant d’amour, est encore, suivant l’expression de son testament, an Irving homestead.

Enfin, après quatre heures environ de navigation sur ce beau fleuve que les vaisseaux de guerre peuvent remonter plus loin encore sans danger, nous arrivons au terme de notre navigation. West-Point est l’école des officiers, le Saint-Cyr des États-Unis. La visite de cette école offre donc pour notre délégation militaire et même pour nous, profanes, un grand intérêt. Une assez bonne route nous conduit au sommet du promontoire où est située l’école. L’emplacement est admirablement choisi. L’Hudson fait ici un double coude et s’élargit jusqu’aux proportions d’un petit lac. Du sommet du promontoire, le regard peut suivre, dans les deux sens, le cours du fleuve et, sur l’autre rive, s’enfonce dans une gorge escarpée. Le promontoire s’aplatit au sommet en une vaste prairie qui sert de champ de manœuvre à l’école. C’est là que les cadets nous attendent. Ils sont rangés sur deux files et nous font à notre arrivée le salut militaire. L’aspect de ces deux lignes de petits soldats (ils sont tous très jeunes), bien campés dans leurs uniformes gris à buffleteries blanches, par ce ciel bleu, sur cette pelouse verte, est des plus vifs et des plus pittoresques à l’œil. J’ai la vision d’un tableau de Détaille. Les cadets manœuvrent d’abord devant nous avec une précision qui égale (c’est du moins ce que j’entends dire autour de moi) celle des saint-cyriens, bien que peut-être avec une nuance d’apparat. Nous leur faisons subir ensuite une revue détaillée. Nous passons d’abord sur le front, puis entre les deux lignes, puis derrière la seconde, tout comme si nous étions des généraux inspecteurs, et j’ai le sentiment que nous autres, civils, avec nos ulsters de voyage, nous devons être parfaitement ridicules dans cette besogne. Mais il paraît que je me trompe, ou, du moins, on a la bonté de nous en assurer.

La revue passée, nous visitons les bâtimens de l’école. Le général commandant, les officiers supérieurs, sont logés à part ; le général dans un charmant cottage, assez spacieux pour qu’un lunch puisse nous être offert dans la salle à manger, les autres officiers