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WEST-POINT ET LE NIAGARA

7-9 octobre.

Dans le comité qui a été nommé, dit son acte d’investiture, « pour étendre aux visiteurs français les courtoisies de l’état de New-York, » se trouvent beaucoup de gens du monde. Ils ont eu peu de part à la réception tout officielle qui nous a été faite hier. Ils ont voulu avoir leur tour, et ils ont arrangé pour les deux jours suivans une excursion charmante. Nous devons remonter l’Hudson jusqu’à West-Point; puis, après y avoir passé la nuit, nous rendre le lendemain au Niagara et, de là, à Baltimore. Seulement, au lieu de nous rendre à West-Point sur un de ces grands bateaux qui font ordinairement le service de la rivière, nous devons être transportés sur deux vaisseaux de guerre américains, le Vandalia et le Keersage, dont l’un, le Keersage, est célèbre pour avoir coulé en vue de Cherbourg le corsaire sudiste l’Alabama. On nous a donné rendez-vous pour dix heures à l’embarcadère, et nous nous y rendons, tambours en tête, escortés par le bataillon des gardes de Lafayette. A peine embarqués sur le petit vapeur qui doit nous conduire à bord des deux frégates, nous nous apercevons qu’on nous a laissés ignorer la moitié du plaisir qui nous attendait. Nous sommes en effet fort étonnés de trouver, en plus de quelques-uns des membres du comité que nous connaissons déjà, toute une société de jeunes femmes et de jeunes filles mises avec cette simplicité élégante dont je croyais naïvement le secret réservé aux Parisiennes de bonne compagnie. Ce sont les femmes, sœurs, filles ou nièces de membres du comité qui veulent bien nous faire société pendant ces quelques jours. Nous ne nous attendions pas à tant de bonne grâce; aussi, ceux d’entre nous qui n’ont pas l’honneur d’être en uniforme regrettent-ils avoir remis pour la circonstance des vêtemens de voyage qui n’ont pas impunément traversé l’Océan et de faire peu d’honneur au bon renom de l’élégance française par le contraste de leur tenue avec celle des hommes et des femmes qui nous environnent. Mais nous faisons contre bonne fortune bon cœur, et nous nous efforçons (pour ne point mentir sous tous les rapports à la réputation française) de payer en monnaie d’amabilité les attentions dont nous sommes comblés. Nous ne pouvons mieux prouver notre reconnaissance à nos hôtes qu’en admirant le paysage qui se déroule sous nos yeux, et nous n’avons pour cela aucune violence à faire à notre sincérité. Cette navigation de l’Hudson est vraiment l’une des belles choses qu’on puisse voir et rappelle, me dit-on (je n’en suis pas juge), la navigation du Rhin. A peine a-t-on dépassé New-York que, sur la rive droite du fleuve, s’élève un escarpement qui porte le nom français de Palissades. C’est bien une palissade en effet, mais de quatre