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denier, mais il est notoire à New-York que, sur cette somme, bon nombre de dollars sont restés dans des mains qui n’auraient pas dû les garder, et c’est l’explication qu’on donne couramment de la lenteur des travaux. Nous descendons du dernier pilier par un nouvel escalier en bois; nous reprenons ce merveilleux chemin de fer aérien, puis un car (c’est ainsi qu’on appelle les tramways à New-York) et nous rentrons à l’hôtel assez amusés de notre expédition. A la porte, nous sommes appréhendés par un reporter qui nous demande comment nous avons employé notre matinée. Nous le lui disons brièvement, et le soir même nous trouvons raconté dans le journal avec force détails le récit de notre expédition sur ce que nous avons appelé, dit-il, la passarelle.

Le reste de la journée est consacré aux cérémonies officielles. A deux heures, le gouverneur de l’état de New-York doit venir nous rendre visite, et nous devons ensuite passer en revue les milices de la ville. A deux heures, le gouverneur arrive, en effet, à l’hôtel de Fifth-Avenue. Il est en habit civil, mais entouré d’un nombreux état-major d’officiers en uniforme assez élégant: beaucoup de galons et surtout de plumets. Ces officiers appartiennent tous à la milice. L’honneur d’être choisi par le gouverneur d’un état comme officiers d’ordonnance leur vaut le titre de colonel, qu’on leur conserve souvent par courtoisie lors même que leurs fonctions ont cessé. De là cette fabuleuse quantité de colonels qu’on rencontre en Amérique. Le gouverneur de New-York est un homme de fort belle prestance qui nous reçoit avec dignité. Mais la présentation est un peu froide, comme toutes les présentations. Nous montons ensuite en voiture ayant comme la veille un commissaire par carrosse, et nous commençons à passer devant le front des régimens de milice rangés sur deux rangs dans Fifth-Avenue, depuis Madison-Square jusqu’à Central-Park. Il me semble que nous autres civils nous n’avons guère à faire dans cette cérémonie, et que pareil honneur devrait être exclusivement réservé à la délégation militaire et maritime. Mais nos commissaires ne l’entendent point ainsi et sont résolus à ne faire entre nous aucune distinction. Je suis moins attentif cependant à la tenue des troupes, dont je ne suis pas très bon juge, qu’à l’aspect extérieur de tout ce qui nous environne. Cette longue et large voie de Fifth-Avenue est bordée de droite et de gauche de maisons où demeure toute la société de New-York. Ces maisons sont construites dans le genre des maisons anglaises, sans porte cochère avec une façade assez étroite et toutes en profondeur; mais ce qui les rend plus élégantes que les maisons de Londres, c’est qu’au rez-de-chaussée de chacune d’elles on n’accède que par un perron de huit à dix marches, et ce perron leur donne à la fois plus d’apparence et de légèreté. Elles sont