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parti joyeux, et, ayant fait connaissance avec nous pendant la traversée, il nous a demandé de venir le voir à New-York, dans la maison de son ordre, où il doit séjourner pendant quelques jours. Je ne prévoyais guère que ma première visite dans la grande cité Américaine serait pour l’Institut des jésuites. Cet Institut est situé dans une maison d’apparence encore plus modeste que celle naguère occupée par eux dans la rue de Sèvres. Des corridors très étroits, des escaliers tortueux, un parloir des plus pauvrement meublés, où nous reçoit un père français qui est depuis trente ans aux États-Unis, et qui a presque oublié l’usage de sa langue maternelle. Rien ne trahit la richesse et la puissance de l’ordre. Mais lorsque de cette maison si simple on passe par des dégagemens intérieurs dans la nouvelle église que les jésuites sont en train de faire construire et dont la façade donne sur la rue voisine, on mesure en un coup d’œil les ressources dont ils disposent. Cette église sera une des plus spacieuses de New-York, je ne dis pas une des plus belles, car le style en est surchargé d’ornementations qui pourront plaire aux Irlandais, futurs habitués de cette nouvelle paroisse, mais qui paraissent du plus mauvais goût à nos yeux français. Elle est construite en pierres magnifiques de granit gris et rouge, au-dessus d’une crypte d’égale dimension et destinée à remplacer une chapelle devenue insuffisante.

Le contraste entre cette pauvre maison et cette magnifique église, en apparence indépendantes, est bien dans les traditions de l’ordre, partout semblable à lui-même, toujours plus fort qu’il ne paraît, à la fois constant et souple. Il est impossible de ne pas admirer cette vitalité prodigieuse qui survit à toutes les épreuves et qui lui fait regagner ici le terrain perdu ailleurs. Il est vrai que la législation de l’état de New-York favorise singulièrement son développement. Que sept individus, dont il suffit que deux se disent citoyens américains, annoncent l’intention de se former en société en déposant entre les mains du secrétaire de l’état un extrait de leurs statuts; que ces statuts n’indiquent pas un but contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs : voilà la société légalement constituée à l’état de personne civile ayant droit de posséder et de recevoir. Il y a loin de cette législation à la nôtre (sans parier même des événemens récens), et cette différence nous fournit les élémens d’une comparaison entre le libéralisme des deux républiques qui n’est pas tout à fait à l’avantage de notre pays. Cette conversation nous conduit jusqu’à la station de l’elevated railroad, qui est situé dans la quatorzième rue. Comme cet elevated railroad est, à mon avis, une des curiosités de New-York, et comme au moment où il est fort question d’établir à Paris un chemin de fer métropolitain, il y aurait peut-être là quelque chose à imiter, on me permettra une digression qui, vu