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Et le « mari à Babette? » Ce n’est pas Gaston, mais un mari pour rire, comme l’indique la familiarité du tour. Le « mari à Babette » est un personnage à qui Gaston confère ce titre, un vain titre s’entend, pour qu’il vienne avec elle habiter les environs de Petit-Preux pendant les trois mois de l’épreuve. C’est un personnage accessoire, mais d’une importance capitale on s’en doute, dès l’abord, à le voir représenté par M. Geoffroy. Lisons sa carte de visite : « Gévaudan, inventeur. » Inventeur malheureux et qui s’est fait pour vivre commis-voyageur et courtier en toute espèce d’affaires; il place à qui veut le prendre un petit bordeaux de famille, un dictionnaire de Larousse, une statue de grand homme anonyme, selon les hasards de la conversation. Quand le vicomte lui propose, à défaut de commande, cet emploi de mari honoraire : « Eh mais! s’écrie-t-il, c’est assez Neveu de Rameau, ce que vous me proposez là! — Neveu de?.. interroge le vicomte. — Rameau! — Connais pas. — Je vous l’enverrai. » Et aussitôt Gévaudan, avec un petit haussement d’épaules qui indique le mépris de ce lettré d’aventure pour ce gentilhomme ignorant, inscrit sur son carnet : « Vicomte de Petit-Preux. — Œuvres complètes de Diderot : 40 volumes. » L’épisode n’est-il pas charmant et le personnage animé d’une vie particulière et complexe, comme Babette elle-même? Et pour désigner avec discrétion par quel vice tranquille cet inventeur se console de sa déchéance, l’auteur lui fait demander la permission d’emmener avec lui pendant ses trois mois de mariage fictif « une personne qu’il aura désignée lui-même : » cette personne est une bonne, mais quelle bonne, et représentée par Mlle Lavigne avec quelle terrible bassesse de bouffonnerie et de cynisme! Par ce trait, la figure de Gévaudan s’achève : c’est une silhouette enlevée prestement sur un mur devant lequel défileraient les personnages d’une autre Comédie humaine.

C’est dans ce premier acte que se posent les caractères de Babette et de Gévaudan, et ce premier acte, à mon avis, retouché en quelques points seulement, eût été mieux apprécié au Théâtre-Français que sur la scène du Palais-Royal. Mettez M. Thiron dans le rôle de l’oncle, à la place de M. Montbars, et M. Coquelin dans le rôle du neveu joué par M. Raymond; remplacez M. Geoffroy par M. Got, et par Mlle Baretta la gentille Mlle Berge, un peu faible pour le personnage : et le premier acte du Mari à Babette sera l’un des plus jolis actes de comédie que MM. les sociétaires nous aient présentés depuis longtemps. Mais quelle pièce doit suivre ou plutôt devait suivre cette exposition? Je l’ignore même à présent. Après ce premier acte délicieux, MM. Meilhac et Gille nous ont offert deux actes de vaudeville tout pleins de rencontres amusantes, et qui trompent à merveille l’appétit de comédie que ces messieurs nous avaient donné, mais qui ne font que le tromper. On y voit