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Après cette création de Serge Panine, M. Marais est classé comme le meilleur des jeunes premiers de drame qui soient à l’heure présente. Par sa figure solide, par sa voix mâle et douce, par sa tenue correcte, par son geste sobre, par toute sa personne et par tout son talent, c’est un homme, et qui plaît. Mlle Léonide Leblanc lui donne la réplique en bonne comédienne qu’elle est devenue, avec une science dont le public commence à s’apercevoir. Jouée par ces deux artistes, la dernière scène du troisième acte a mis le feu à la salle jusque-là demeurée tiède. Notons, pour satisfaire aux exigences de la morale, qu’elle a le grand tort, cette scène, d’apprendre aux gens qui l’ignoraient que les amoureux s’embrassent sur la bouche ; — cette note, pour servir à l’histoire de la pudeur au théâtre, quand la pudeur n’existera plus même là. Mlle Brindeau, dans le rôle de Micheline, ne pouvait guère faire preuve que d’innocence et de beauté ; pourtant, à certains changemens de voix, on devine que cette ingénue un peu froide pourra devenir, quand on le voudra, un premier rôle de drame. Je me reproche de citer aussi tard M. Landrol, qui représente le mari de Jeanne ; au deuxième acte et au quatrième, la probité de ce comédien atteint à la perfection ; ce talent sobre nous touche mieux que des génies plus éclatans. M. Maurice Luguet débutait dans le rôle de Pierre Delarue ; il l’a sauvé de son mieux. En somme, l’interprétation est digne des plus beaux temps du Gymnase, comme est aussi le succès de la pièce. M. Koning et M. Ohnet doivent être contens l’un de l’autre ; sinon, ils seraient plus difficiles que nous, qui sommes contens de tous les deux.

C’est aussi comme une comédie de caractères et de mœurs, bien que teintée de fantaisie, qu’avait commencé, au Palais-Royal, la spirituelle pièce de MM. Meilhac et Gille, le Mari à Babette. Qu’est-ce que Babette ? Une « cocotte, » mais une « cocotte » d’une variété particulière, assez rare à la ville et jusqu’ici inconnue au théâtre, où cependant l’espèce a été décrite par assez d’auteurs, et notamment, à plusieurs reprises, par l’un des auteurs de la pièce nouvelle, M. Meilhac : c’est, dit un des personnages, la « cocotte ingénue. » Ingénue ! est-ce bien le mot ? Babette a été trouvée, à la sortie du Cirque, un samedi soir, par un jeune élégant, le vicomte de Petit-Preux ; et il faut bien dire que certaine tante de Babette, — ah ! la vilaine femme et qu’on a raison de ne pas nous la montrer ! — a aidé à la trouvaille. Car c’était bien, jugez-en, une trouvaille en pareil endroit. Le vicomte a eu ce soir-là une surprise qu’il ne cherchait pas : la tante avait mené au Cirque l’innocence de sa nièce, à peu près comme les parens du petit Poucet mènent leurs enfans dans la forêt ; et Gaston, qui n’est pas un ogre, a cependant, ce jour-là, goûté de la chair fraîche. Puis, voici que Babette s’est détachée de sa tante et attachée au brave garçon à qui le hasard l’avait donnée. Et lui, de bon cœur, l’a laissée faire : elle est si gentille.