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dit-on, dans les cercles conservateurs et aristocratiques de l’Allemagne. Un troisième, plus accommodant, désire que Rome soit transformée en ville libre; un quatrième, plus conciliant encore, se tiendrait pour satisfait si elle était proclamée par le roi Humbert « la capitale morale de l’Italie, » et s’il transportait à Naples ou à Florence le siège du gouvernement. Quelle que soit la solution, c’est un déménagement qu’on lui impose; on exige qu’il renonce à fixer sa résidence au Quirinal. Quand Garibaldi arriva dans la ville éternelle pour siéger à la chambre des députés, le pape Pie IX, qui était dans un de ses jours de douce et narquoise ironie, dit en souriant à un diplomate étranger : « Qui donc osait prétendre que nous ne pourrions pas tenir deux à Rome? Nous y sommes trois. » Le pape Léon XIII estime qu’on ne peut pas tenir deux à Rome, qu’elle n’est pas assez grande pour contenir un pontife et un roi. qu’elle lui appartienne ou ne lui appartienne pas, qu’il en soit le propriétaire ou l’usufruitier, il entend y résider seul. Jusque-là il se sentira en servitude et il croira respirer un air empoisonné.

Les avocats du Vatican assurent que le sacrifice qu’ils voudraient imposer au roi Humbert n’en est pas un, qu’on ne lui demande rien qui ne soit conforme à ses vrais intérêts et à son plus grand avantage. Ils s’efforcent de lui remettre le passé en mémoire; ils lui rappellent que la ville aux sept collines fut jadis la capitale du monde et non d’une Italie unitaire, qu’Odoacre, roi des Hérules, et après lui Théodoric, roi des Goths, établirent leur résidence à Ravenne, que les Lombards la fixèrent à Pavie et qu’ils s’en trouvèrent bien. Ils s’efforcent aussi de lui persuader qu’en venant à Rome, son père n’a point obéi à son propre mouvement, qu’il éprouvait des scrupules, d’honnêtes appréhensions, qu’il s’est laissé entraîner par les ennemis communs du pape et du roi, par les sectes qui voyaient dans la conquête de Rome le sûr moyen de détruire le rocher sur lequel Dieu a bâti son église. « Les sectes, disent-ils, avaient besoin de déraciner le principe d’autorité représenté par le souverain pontife, et malheureusement l’état avait besoin de complices qui l’aidassent à réaliser sa vieille ambition de manger feuille à feuille l’artichaut de l’Italie, si bien qu’un beau jour les sectes tendirent la main à l’état pour l’aider à contenter son appétit, et l’état mangea l’artichaut en promettant de conduire les sectes à Rome[1]. » Les avocats du Vatican représentent au roi Humbert que Rome est un séjour malsain ou mortel pour une monarchie constitutionnelle et parlementaire, qu’elle n’a jamais appartenu qu’à des papes ou à des tribuns, qu’en vertu de son histoire et de ses traditions, elle est destinée à être la capitale d’une théocratie ou d’une république et qu’il se rendrait

  1. Roma capitale d’Italia, articoli estratti dall’ Osservatore romano, p. 45.