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de communication existant entre la chambre et le salon. Mme la duchesse de Berry n’a pas vu ce mouvement du célèbre chirurgien ; je me tenais devant elle de manière à l’empêcher de savoir ce qui se passait dans la direction du salon.

Une douleur nouvelle se déclare, mais elle est peu vive. Des messagers ont été expédiés aux remparts, à la porte Dauphine, et bientôt nous entendons retentir trois coups de canon (signal convenu pour avertir les témoins qui sont dans la ville). La princesse, qui, dans ce moment même, était en proie à une douleur aiguë, manifeste une grande surprise de cette explosion formidable; elle me demande en criant ce que cela signifie. Je le lui dis aussitôt en ajoutant : « Calmez-vous, Madame, et, d’ailleurs, vous devez y être habituée : l’enfant d’une altesse royale ne peut naître sans que l’on tire le canon en son honneur! »

M. Deneux s’oppose toujours à l’accouchement; nous supplions la princesse de se modérer autant que possible; elle demande avec inquiétude si ce retard ne peut pas nuire à son enfant, s’il ne va pas être étouffé. On la rassure. Il se faisait un peu de bruit dans le salon; Madame paraît s’en tourmenter et elle me dit avec beaucoup de vivacité :

— Je vous en prie, monsieur Ménière, dites au général de ne pas faire entrer M. Dubois; tout ira bien, nous n’aurons pas besoin de lui.

— Calmez-vous, Madame, M. Bugeaud vous entend parfaitement, vos vœux seront remplis, soyez-en sûre.

Je me tenais toujours devant la princesse, de façon à lui dérober la présence des personnes qui se trouvaient à l’extrémité de la chambre.

Cependant nous avions gagné ainsi plus d’un quart d’heure, mais l’événement touchait à son terme, et M. Deneux me fit constater en même temps que lui les diverses phases de ce drame mystérieux. Madame recevait nos soins avec une bienveillance parfaite et bientôt les vagissemens du nouveau-né se firent entendre, et comme ses cris étaient assez forts, Mme la duchesse de Berry s’écria :

— O mon Dieu, il crie bien fort! serait-ce un garçon?

Un coup d’œil m’avait appris que l’enfant était une fille. Je laissai M. Deneux donner cette bonne nouvelle à sa royale cliente, et Madame reprit avec exaltation :

— Je vous l’avais bien dit, messieurs les savans. Eh bien! me croirez-vous une autre fois?

Il était alors trois heures vingt minutes du matin. M. Deneux donna les soins nécessaires à l’enfant et le remit aux mains de Mme Hansler. Dix minutes plus tard, la princesse était complètement