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en joie, lorsque le commandant de place est venu faire son inspection dans les appartemens de la princesse. C’est une visite domiciliaire dont je ne comprends pas trop l’utilité, et cette cérémonie, qui se renouvelle tous les mois, a fait froncer les sourcils de la captive. Le susdit commandant est un gros petit homme à visage sévère, vieux soldat qui a fait la guerre d’Italie et qui affecte de parler le patois napolitain comme un vrai lazzarone.

Notre gaîté s’était enfuie et je cherchais à la ramener au milieu de nous, mais la princesse resta pensive, et bientôt elle s’est écriée :

— Je vous assure qu’il a le mauvais œil, il me porte malheur, et je suis convaincue que c’est un jettatore.


Lundi, 6 mai.

Qui nous délivrera des constatations?

C’est le vœu de tout le monde ici ; chacun se plaint de ce cauchemar, chacun souffre de cette sorte d’obsession qui semble plus forte à mesure que la crise approche de son terme. Ce matin encore, M. Deneux, stylé par je ne sais qui, a entrepris de démontrer à Mme la duchesse de Berry que cette cérémonie était indispensable, et qu’après tout elle n’avait aucun des gros inconvéniens qu’on lui reproche. Cette thèse était un peu scabreuse, et le cher maître, en la soutenant mordicus, a passablement irrité son adversaire, qui ne lui a pas épargné les argumens et les invectives. J’étais spectateur de ce combat, tour à tour interpellé par les parties adverses et gardant une superbe neutralité.

J’ai fini par abonder dans le sens de M. Deneux. J’ai dit à Madame qu’un refus de se prêter aux vues de l’autorité pourrait bien avoir quelque influence sur sa mise en liberté, et qu’il me semblait très prudent de ne fournir au ministère aucun prétexte pour prolonger une détention déjà si longue.

— Allons, c’est bien ; liguez-vous tous contre moi, prenez le parti de mes persécuteurs, accablez-moi et contribuez de toute votre puissance à pousser au désespoir une pauvre femme mourante! Ne sentez-vous pas que cette espèce d’inquisition m’est odieuse? Ne voyez-vous pas que c’est un véritable attentat contre ma liberté ? J’en ferais bon marché, je vous l’assure, si je n’y voyais pas quelque chose de pis encore dans un pays comme la France. Une femme ne sera pas libre d’échapper à des mesures vexatoires, puériles, et j’aurai à subir des tortures morales sous prétexte de recherches absurdes et inutiles! Non, non, jamais je ne me soumettrai volontairement à ces infamies de la police, et, dussé-je mourir dans cette