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surtout à moi son séjour à Blaye et toutes les fâcheuses conséquences qui en résultent pour elle. C’est précisément à cause de cela que j’ai désiré vous voir et vous entretenir. J’ai à cœur de vous fournir des élémens de conversation avec Mme la duchesse de Berry, de vous mettre à même de répondre convenablement aux principaux reproches qu’elle pourra articuler contre moi.

Il y eut ici un petit moment de repos, et j’en profitai pour dire :

— Que votre majesté me permette de lui faire observer que ma mission auprès de Mme la duchesse de Berry est absolument médicale, qu’il ne m’en a pas été proposé et que je me sentais bien incapable d’en remplir une autre.

« — Sans doute, docteur, sans doute, et vous n’aurez point à sortir de vos attributions. Les ressources de la médecine ne se bornent pas à la pharmacie ; je veux vous fournir des moyens de porter un calme salutaire dans l’esprit de votre malade. Il est très nécessaire que vous possédiez des agens moraux capables d’apaiser une irritation trop vive, et votre science, qui doit toujours consoler quand elle ne guérit pas, sait employer avec un grand succès le langage de la raison, de la persuasion pour remédier aux troubles des intelligences passionnées. Je connais le caractère de Mme la duchesse de Berry; il est vif, impétueux, son jugement est trop prompt pour qu’il ne soit pas souvent erroné. Sa triste position doit l’aigrir. Elle ne voit que ce qui la touche; elle accuse de ses maux actuels ceux qui n’y peuvent rien, et, dans ses agitations, dans ses colères, elle accepte comme vraies des idées entièrement fausses. Je pense qu’il importe beaucoup de combattre cette disposition d’esprit et de lui faire connaître la vérité. Personne plus que vous n’est à même de la tranquilliser, de détruire des préventions injustes et de lui faire comprendre la véritable situation des choses. Écoutez-moi donc ; votre sagacité médicale comprendra facilement le parti que vous pouvez tirer de mes paroles pour le soulagement physique et moral de Mme la duchesse de Berry.

(Il m’a semblé qu’en s’exprimant ainsi le roi prenait un air soucieux. Son front s’est plissé, ses lèvres m’ont paru serrées et sa voix est devenue un peu plus sourde que précédemment.)

— Ma nièce, qui n’est pas bête, sait beaucoup de choses, mais elle ne se fait pas encore une idée de ce qu’est un roi constitutionnel. Elle n’a jamais eu l’occasion de l’apprendre; il sera donc très utile de lui expliquer les nécessités qui dominent cette royauté nouvelle. Ce qu’on appelait autrefois la raison d’état, ce qui a occasionné des actes si amèrement reprochés aux puissances d’alors, est devenu de nos jours bien plus impérieux, bien plus irrésistible; aussi un ministère qui veut conserver à la fois et sa majorité et sa popularité et qui, de plus, se sent très responsable, dicte des lois