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Je crains de dire trop ou trop peu. Si vous voulez avoir la bonté de m’adresser des questions, je m’efforcerai d’y répondre de mon mieux, et de cette manière, je ne craindrai pas d’abuser de la patience du conseil.

— Je crois vous mettre très à l’aise en vous priant de nous raconter l’histoire de votre séjour à Blaye, vos relations avec Mme la duchesse de Berry, vos observations sur sa santé, en un mot tout ce qui vous a paru digne d’être remarqué dans l’intérêt de la mission qui vous a été confiée.

Une telle latitude laissée à mon récit m’a causé un grand embarras, je l’avoue, et en me levant pour prendre la parole (je ne sais pas parler assis) j’ai éprouvé un léger battement de cœur avec un certain resserrement de gosier d’un assez mauvais augure pour mon début oratoire. Je voyais, rangés en cercle, des figures graves, des airs sévères; je me répétais tout bas que M. Thiers m’écoutait, que M. Guizot et M. le duc de Broglie avaient l’oreille ouverte à mon intention, enfin qu’il fallait, bon gré mal gré, faire mon petit discours en présence de ce très redoutable auditoire. Un regard de détresse jeté sur M. Orfila me prouva du moins que j’avais là, près de moi, un auditeur bienveillant; je me dis qu’il ne fallait pas me conduire comme un enfant et qu’après tout, ces maîtres de la parole auraient sans doute égard à mon inexpérience et aux difficultés de ma position.

Mon petit discours a duré une demi-heure, et lorsque j’ai cessé de parler, j’ai compris à un certain mouvement de tête de mon cher doyen qu’il n’était pas mécontent de moi. M. le président du conseil nous a invités à passer dans une pièce voisine; M. Orfila m’a dit que je m’étais bien tiré d’affaire et que, très probablement, cela tournerait bien.

Cinq minutes au plus se sont écoulées et j’ai vu tous les membres du conseil sortir du cabinet du président. M. d’Argout s’est approché de M. Orfila et de moi et nous a dit ces mots :

« Mme la duchesse de Berry accouchera à Blaye. »


Dimanche, 1er mars.

Voici une journée qui fera époque dans ma vie. J’ai hâte de recueillir tout ce qui m’est arrivé aujourd’hui de remarquable. Je me souviendrai longtemps du 31 mars.

Ce matin, de très bonne heure, plongé dans les délices d’un bain Vigier, je réfléchissais aux incidens de la veille, je me rappelais les figures des ministres qui m’écoutaient chez le maréchal Soult, lorsque j’entendis une voix s’écrier: On demande M. Ménière ! Je