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pour arriver au fort de Fatahua que celui qu’on apercevait devant soi, faisant face à la vallée. Après mille démarches vaines, le gouverneur finit par découvrir un Indien de l’île de Pâques, ancien oiseleur du roi Pomaré, qui avait passé sa vie à gravir les cimes pour y aller surprendre sur son nid l’oiseau des tropiques; les plumes d’un rouge de pourpre que lui procurait cette chasse aventureuse servaient à composer le manteau royal. Séduit par un premier présent, déterminé par les libérales promesses qui lui furent faites, cet homme révéla au gouverneur l’existence d’un sentier que nul autre que lui ne connaissait dans l’île. Qu’on lui confiât un détachement de soldats agiles et résolus, il le conduirait par cette voie détournée sur un sommet que les insurgés ne pouvaient soupçonner accessible et d’où l’on n’aurait plus qu’à descendre sur le fort.

Le gouverneur avait trouvé un guide, — tranchons le mot, il avait trouvé un traître. — Était-il au moins assuré d’avoir mis la main sur un bon traître? Le fanatisme national a souvent suscité de ces fourbes héroïques, qui, pareils au mystérieux personnage du roman de Cooper, sont toujours prêts à faire bon marché de leur vie, pourvu qu’ils aient l’espoir d’attirer l’ennemi dans un piège :

in utrumque parati
Seu versare dolos, seu certæ occumbere morti.


Les Troyens, après avoir résisté dix ans aux attaques des Grecs, se laissèrent vaincre un jour par les artifices et par les larmes feintes de Sinon : — dolis lacrymisque coactis. — Ne vit-on pas, quelques siècles plus tard, au siège de Babylone, en l’année 519 avant Jésus-Christ, Zopyre, fils de Mégabyse, se raser la tête, se sillonner le corps de coups de fouet, se couper même le nez et les oreilles pour se faire admettre dans la place où les Chaldéens trop crédules s’empressèrent d’accueillir cette prétendue victime des cruautés de Darius? Quand on a lu et médité l’histoire, on n’ose plus se fier aveuglément à personne, pas même à ceux qui ont le nez coupé. Le commandant Bruat était doué par bonheur d’une perspicacité qu’il n’était pas facile de mettre en défaut. Il sonda longtemps l’homme qui venait inopinément prendre parti pour la cause étrangère, l’interrogea sur son passé, sur ses espérances, étudia son regard et son attitude; l’examen terminé, il se déclara satisfait. Pas de demi confiance! Les troupes suivraient docilement les instructions du guide qu’on allait leur donner. Le sort, pour le malheur des insurgés taïtiens, ne nous avait que trop bien servis. Maïroto, — tel était le nom de l’ancien oiseleur, — n’était pas un faux traître; il devait se montrer aussi fidèle qu’Éphialte. Est-il besoin de rappeler ici qu’Éphialte, fils d’Eurydème, fut ce citoyen de Malis, qui enseigna