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sûr chemin pour arriver du bassin de la mer Caspienne au bassin supérieur de l’Indus est encore le chemin qui traverse les états du shah de Perse. « On a vu, nous apprend sir John Mac-Neil, le comte Simonitch se faire conduire en voiture de Téhéran à Hérat. » Ce voyage, journellement pratiqué par les caravanes, moins facile à coup sûr pour un corps d’armée, constitue ce qu’on peut appeler à bon droit la quatrième campagne de l’armée de Macédoine. La conquête de l’Afghanistan, celle du Turkestan, du Pendjab et du Sind exigèrent également autant de campagnes distinctes; nous en compterons donc huit depuis le départ de Tyr et avant le retour de l’armée à Suse par la Gédrosie, neuf avec ce retour, dix en y comprenant le voyage de Néarque. Ce fut l’œuvre de six ans, — six années d’un labeur ingrat, fait pour lasser les courages les plus intrépides.

L’empereur Napoléon « avait fait à ses lieutenans un lit de roses, mais il leur défendait de s’y coucher; » Alexandre eût voulu que les siens ne quittassent jamais leurs bottes de 93. « Comment ! leur disait-il, pourrez-vous soigner vous-même votre cheval, fourbir le fer de votre lance, votre casque, si vous laissez s’amollir ce corps qui vous est si cher? » Ces demi-dieux se font, en vérité, de la vie une idée étrange! Le repos leur semble un affront, et l’élève d’Aristote ne se jugerait plus digne d’occuper le rang suprême s’il perdait l’habitude de la fatigue et du danger; dans ses marches mêmes, on le voit « s’exercer chemin faisant à tirer de l’arc, à monter sur un char lancé à toute vitesse et à en descendre. » Æstuat infelix ! Sachons gré après tout à ces natures d’élite de nous montrer sous un pareil aspect la famille à laquelle nous appartenons ; la vie revêt en eux je ne sais quoi d’idéal et d’immatériel qui nous apporte comme un parfum d’immortalité. Les Napoléons et les Alexandres m’ont toujours mieux tranquillisé sur nos destinées futures que tous les raisonnemens de l’école; ce sont les nègres de la Nouvelle-Guinée et peut-être aussi quelques blancs qui m’inquiètent.


II.

La période des batailles rangées pour longtemps était close ; la guerre de montagne, cette guerre qu’Alexandre avait déjà faite en Illyrie et qu’il allait poursuivre au sein des massifs accidentés de la Perside, ne demande pas uniquement un courage intrépide; elle a ses secrets, ses méthodes et ne se pratique bien que par ceux qui en ont fait une étude spéciale. Les Grecs sont encore demeurés sur ce point nos maîtres. Voyez les Dix-Mille quand ils sont obligés de se frayer un chemin à travers le pays des Carduques : ils décampent secrètement et calculent leur marche pour arriver au pied des hauteurs avant le lever du jour. Les premiers