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acquisition ait été faite sans l’avis conforme du conservatoire du Louvre, ce qui est absolument illégal, passons sur l’oubli de cette vaine formalité, d’autant mieux que le ministre aurait pu se faire donner cette sanction. Il eût trouvé sans doute au Louvre comme à l’Ecole des beaux-arts une voix de majorité. Que ces tableaux soient payés sur l’exercice 1882, au détriment de toute autre acquisition ultérieure, ou par un crédit supplémentaire demandé aux chambres comme une grande réparation nationale, peu importe. Dans l’un et dans l’autre cas, l’argent du Louvre ou l’argent de l’état aura été malencontreusement employé. Nous reconnaissons l’énorme talent de Courbet. Courbet a eu et au plus haut degré plusieurs des qualités des grands maîtres. Lorsqu’il était en ses bons jours, — il en a eu beaucoup de mauvais, — il était peintre dans toute l’acception du mot. Alors sa touche est large et franche; son mâle coloris a parfois des accens de lumière d’une extraordinaire intensité. Il accuse dans ses figures le relief, le mouvement, la vie ; il agite comme la brise les fouillées profondes et humides et étend jusqu’à l’infini les grands horizons. Courbet a droit de cité au Louvre. Mais le Luxembourg ne possède-t-il pas deux tableaux de la meilleure manière du peintre, la Vague et le Trou du puits noir? La sœur de Courbet n’a-t-elle pas fait don au Louvre de l’Enterrement à Ornans et d’une autre toile? C’est donc déjà quatre œuvres du maître-peintre qui peuvent être placées dans notre musée. Qu’on eût acquis encore l’Homme blessé ou l’Homme à la ceinture de cuir pour avoir un autre spécimen de son talent, et il nous semble qu’avec ces cinq tableaux l’œuvre de Courbet eût été bien suffisamment représenté. Mais acheter d’un coup cinq tableaux, ce qui portera à neuf les Courbet du Louvre, cela est excessif[1]. C’est à croire qu’on veut donner à Courbet une salle spéciale comme au plus grand maître de l’école française.

Pourquoi tant se presser de faire entrer au Louvre les tableaux de Courbet quand on laisse dans l’antichambre du Louvre, au Luxembourg,

  1. M. le ministre des arts joue de malheur avec le Louvre. Les dons mêmes qu’on fait au musée tournent en mésaventures pour le ministre. On sait à quoi les communications à l’Académie des inscriptions et les articles de la Revue archéologique de MM. Philippe Berger et Edmond Le Blaut ont réduit ces antiquités d’Utique récemment exposées: à une collection de soixante-dix-sept épigraphes puniques dont on possédait tous les estampages, et dont au reste les caves de la Bibliothèque nationale renferment 1,400 modèles analogues, qui n’ont coûté à l’état que 1,700 francs, et à une autre collection d’objets statuaires et céramiques d’un intérêt à peu près nul pour l’art et d’une valeur fort peu sérieuse pour la science. Or, à ce don fait au Louvre, M. le ministre des ans répond dans une lettre rendue publique que «ce don précieux comble une lacune dans les collections nationales » et « assure au musée la possession d’un trésor nouveau. »