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comme de l’enseignement religieux. Regardons comme juste cette doctrine que, toutes les manifestations de l’art ayant également droit à la protection de l’état, l’état doit, en conséquence, faciliter aux artistes opposés à toute tradition un enseignement analogue à leurs idées. Pourquoi alors se borner à la réforme de l’enseignement de la peinture et de la sculpture? Pourquoi ne pas appliquer ces principes de liberté à toutes les branches de l’enseignement, à tous les établissemens payés ou subventionnés par l’état? Supprimez les inspecteurs de l’enseignement du dessin ; qu’on enseigne à dessiner d’après les principes de M. Ingres ou d’après ceux de M. Manet, l’état n’a rien à y voir. Donnez les manufactures de Sèvres et des Gobelins, qui sont une grosse charge pour le budget (1 million), à des compagnies industrielles, car les vases de Sèvres et les tapisseries des Gobelins sont de l’art officiel au premier chef, — et souvent quel art! du moins pour Sèvres. De quel droit mettre dans le cahier des charges de la Comédie-Française et de l’Odéon que ces théâtres devront jouer chaque année l’ancien répertoire un certain nombre de fois? C’est imposer au public une littérature d’état. Des réformes sont aussi commandées dans l’enseignement supérieur des lettres. Il convient de donner une chaire de littérature au Collège de France à M. Jules Vallès. C’est un homme de beaucoup de talent, il a déclaré que le Misanthrope l’ennuie et que Homère est bon à mettre aux Quinze-Vingts[1]. Cela importe peu. C’est une opinion littéraire, et l’état, qui a des idées larges en art et en littérature, se reconnaît le devoir d’aider toutes les opinions à se produire, bien que n’en patronnant aucune. Le Conservatoire de musique et de déclamation réclame aussi son indépendance. Des professeurs comme MM. Ambroise Thomas et Massenet sont les représentans de l’art officiel, de l’art qui ouvre à ses adeptes l’entrée de la villa Médicis et plus tard celle de l’Institut. De même, pour les professeurs de déclamation. MM. Got, Delaunay, Régnier, enseignent aussi le grand art, acte attentatoire à la liberté de l’art dramatique. En vertu de quel principe le gouvernement s’arrogerait-il le droit d’imposer un enseignement d’état aux compositeurs et aux comédiens quand il ne se reconnaît pas celui d’imposer cet enseignement aux peintres et aux statuaires? Il faut donc supprimer les cours du Conservatoire comme on a supprimé les ateliers de l’École des beaux-arts et les réorganiser suivant des idées moins exclusives. Il y aura dans la classe de composition lyrique un roulement entre MM. Victor Massé, Lecocq et Hervé, et dans la classe de déclamation un roulement entre MM. Delaunay,

  1. Courbet, qui est particulièrement cher à M. le ministre des arts, disait bien que « Léonard et Titien sont des filous en art » et que Raphaël, — Raphaël, le maître de l’École d’Athènes et de la Dispute du saint sacrement, — est « un peintre sans pensée.»