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présence de ce chaos? Ils déserteront l’école ou du moins ils n’y viendront plus que de temps en temps, non comme en un atelier, mais comme en un centre d’art, et tous entreront dans des ateliers libres, puisque, en résumé, il leur faudra bien apprendre leur métier. Les ateliers officiels ne coûtaient rien aux élèves. L’atelier libre coûtera à chacun une cotisation de 300 à 500 francs par an. Ainsi le premier acte du ministère des arts aura été la suppression de la gratuité de l’enseignement des arts.

Les anciens ateliers sont-ils donc si condamnables? Ils sont cependant défendus par les anciens et les nouveaux élèves, par le plus grand nombre des artistes et des critiques d’art, enfin par l’éloquence des faits. C’est dans ces ateliers, qui n’ont pas l’heureuse fortune de plaire à M. le ministre des arts, que se sont formés les jeunes peintres aujourd’hui les plus remarqués aux expositions. Du seul atelier de M. Cabanel sont sortis Henri Regnault et MM. Humbert, Benjamin Constant, Morot, Comerre, Gervex, Cot, Bastien-Lepage, Henri Lévy, Thirion, Sylvestre, Blanchard. Depuis quinze ans, il y a eu dans cet atelier neuf grands prix de Rome, quinze seconds prix, et tous les prix du Salon décernés jusqu’à ce jour. Le ministre est mal fondé à parler des tendances académiques et de l’esprit exclusif de cet enseignement. Il nous paraît qu’un maître qui forme des peintres de talens aussi différens que MM. Cot et Benjamin Constant, Thirion et Gervex ne saurait sans étonnement entendre accuser ses leçons de tendances étroites et d’exclusivisme. Pense-t-on donc en haut lieu qu’un roulement de professeurs donnera à la France un plus grand peintre que Henri Regnault et à l’art indépendant un peintre moins académique que M. Bastien-Lepage? Dans les autres ateliers de l’Ecole, l’exclusivisme et l’influence tyrannique du maître règnent tout juste comme dans celui de M. Cabanel. Voyez plutôt : M. Lecomte du Nouy, un néo-grec, sort de l’atelier de M. Gérôme. C’est dans l’ordre. Soit; mais M. Roll, qui prend pour sujets l’inondation de Toulouse et les grèves des mineurs et qui peint des toiles immenses à grands coups de brosse, est aussi élève de M. Gérôme. Les artistes ne perdent dans les ateliers de l’École ni leurs aptitudes ni leur originalité. Suivant leur goût ou leur tempérament, les uns restent fidèles à la tradition tandis que les autres s’en écartent avec la plus complète indépendance.

M. le ministre des arts a déclaré en plein sénat qu’il voulait « indépendantiser » l’art. — A entendre d’aussi étranges vocables, on penserait que M. le ministre des arts veut aussi « indépendantiser » la langue française. — La liberté de l’art ! voici la grosse question que soulève la fermeture des ateliers, voici ce qui donne à cette mesure une très grande importance. Admettons pour un instant ce principe que l’état doit se désintéresser de l’enseignement de l’art