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la sculpture, dirigés par MM. Cavelier, Dumont et J. Thomas; trois pour l’architecture, dirigés par MM. André, Guadet et Ginain. Ces neuf ateliers, qui sont absolument gratuits, ont chaque année de 1,000 à 1,400 élèves[1] et ne coûtent à l’état que 44,000 francs. La somme est minime, surtout si l’on songe que ces ateliers constituent le seul enseignement pratique ouvert par l’état aux peintres, aux statuaires et aux architectes. L’institution est bonne, puisque c’est de ces ateliers qu’est sortie l’élite des jeunes peintres contemporains. Mais M. le ministre des arts ne pense pas comme tout le monde. Il estime que ces 44,000 francs sont mal employés, que ces ateliers n’ont aucune utilité. Loin d’être utiles, ils sont nuisibles, — nuisibles aux professeurs comme aux élèves, à qui ils font également perdre leur temps, nuisibles à l’art, dont ils entravent la liberté. Le ministre entend supprimer les ateliers. Déjà il a réuni le conseil supérieur de l’École, lui a exposé très confusément ses projets et l’a fait voter. Onze voix contre neuf ont donné raison à l’opinion ministérielle. Cette majorité de une voix enlevée par un ministre ne rappellerait-elle pas le refrain de la chanson des Deux Gendarmes, si l’on ne savait que presque tous les membres du conseil qui ont paru approuver le ministre veulent non la suppression des ateliers, mais leur réorganisation sous les mêmes professeurs[2]?

En attendant mieux ou pire, voilà les ateliers condamnés, ce qui

  1. Protestation des élèves de l’École publiée par le Temps du 28 décembre 1881. — Ce nombre est peut-être un peu exagéré. En 1877, il n’y avait à l’École que 994 élèves. (Rapport officiel du directeur.)
  2. Bien avant l’avènement de M. Antonin Proust au ministère des arts, la question de la réorganisation de l’enseignement était à l’ordre du jour dans le conseil de l’École. La base du nouvel enseignement serait l’étude théorique et pratique de la peinture, de la sculpture et de l’architecture rendue obligatoire pour tous les élèves. On ne prétend pas faire ainsi de grands peintres qui seraient en même temps de grands sculpteurs (pour les architectes, les études de peinture ne seraient pas nécessairement poussées aussi loin que pour les peintres). Mais on espère apprendre mieux son métier à chacun; mettre le sculpteur à même de faire le socle de sa statue, donner au peintre la facilité de composer une architecture pour un fond de tableau, rendre l’architecte capable de se servir en toute connaissance du sculpteur et du peintre pour la décoration d’un édifice. La plupart des artistes de la renaissance étaient à la fois peintres, sculpteurs et architectes. On s’en aperçoit dans leurs œuvres. — En même temps que les études seraient rendues plus fortes, l’admission à l’Ecole deviendrait plus difficile. On n’y entrerait qu’à la suite de concours ou d’examens sévères et de plusieurs natures. Ainsi des maîtres comme MM. Gérome, Cavelier, Cabanel, n’auraient plus à apprendre à leurs élèves à dessiner des nez et des oreilles.
    Tel est à peu près le projet du conseil de l’École. On voit que ce n’est pas du tout celui de M. le ministre des arts, qui entend ou supprimer complètement l’enseignement supérieur pratique ou d’établir sur de prétendues bases de liberté dans l’art qui le rendraient dérisoire sinon impossible. Les membres du conseil de l’Ecole sont bien loin de vouloir supprimer ou libérer l’enseignement pratique. Ils savent mieux que personne que « la liberté dans l’art » n’est qu’un mot à effet, et que, pour bien faire son métier, il faut l’avoir appris.