Navita sed tristis nunc hos, nunc accipit illos,
Ast alios longe summotos arcet arena. »
Cette application m’ayant paru bien ingénieuse pour être de Diderot,
je n’ai point eu de longues recherches à faire : la plaisanterie était
de Bayle. On ne sait peut-être pas assez tout ce que doivent à
Bayle nos rédacteurs de l’Encyclopédie.
Les censeurs étaient à la nomination du chancelier. C’était lui qui chaque année, vers le mois de décembre, en revisait la liste, rayait les uns, ajoutait les autres. On raya rarement sous l’administration de Malesherbes. Nous avons vu tout à l’heure que l’on ajouta beaucoup. C’est une preuve de la grande extension que prit en ces douze ans le commerce de la librairie française, si redoutable pourtant que fût la concurrence étrangère. Quelques-uns de ces censeurs étaient appointés. Une lettre de l’abbé Trublet, le fameux archidiacre de Saint-Malo, celui-là même dont Voltaire a tracé le portrait si connu :
L’abbé Trublet avait alors la rage
D’être à Paris un petit personnage...
……………….
informe poliment Malesherbes que, s’il veut que l’abbé se charge
d’être le censeur des feuilles de Fréron, il faut qu’on lui promette
la survivance ou l’expectative de la pension dont jouit Fontenelle, en
qualité de censeur précisément. Ces pensions, par un procédé des
plus ingénieux, paraîtraient avoir été généralement imputées sur les
bénéfices des journaux d’alors, le Mercure de France ou l’Année littéraire de Fréron. Marin, autre censeur illustre et, comme l’abbé
Trublet, beaucoup moins par un effet de son propre mérite que grâce
aux mordantes railleries de Beaumarchais, toucha pendant quelques
années 600 livres de pension sur la feuille de Fréron. Ces espèces de
constitutions de rente au profit de leur propre censeur étaient le prix
dont les journaux en ce temps-là, et encore quand on voulait bien
le leur permettre, payaient ce privilège, dont ils avaient si peu de
peur, à l’encontre de ce que l’on croit, qu’au contraire, de l’obtenir,
c’était l’objet de leurs premières démarches, de leurs incessantes
sollicitations, et leur souhait le plus cher. Ce malheureux Fréron,
que l’on se représente, sur la foi de Voltaire, comme le défenseur
soudoyé du parti de la cour, du parlement, du clergé contre le parti
des encyclopédistes, savez-vous bien qu’il n’intrigua pas beaucoup
moins de vingt ans entiers avant d’y réussir? Et ce ne fut pas Malesherbes qui le lui fit enfin accorder. On le greva de 3,000 livres de
pension, et Lebrun, Écouchard-Lebrun, qui fut depuis Lebrun-Pindare, Lebrun, ennemi mortel et calomniateur acharné de Fréron,